Margaret Atwood – Le temps du déluge (S3E5)

Liste des intervenants : 

Léa Minod (Journaliste)  

Tanguy Schindler (médiateur)  

Greg Germain (Lecture)   

Introduction : Le Palais de la découverte présente Sciences Lues, un podcast pour s’immerger dans la culture scientifique, de Démocrite à nos jours. 

Léa Minod : Imaginez un monde d’après, peuplé par les créatures d’une humanité qui a trop joué aux apprentis sorciers. Une sorte d’arche de Noé post-apocalyptique, où circulent des « liogneaux », mi-lions mi-agneaux, des « porcons », des « malchaptons » ou encore des lapins… verts. Cette vision, on la doit à Margaret Atwood, grande écrivaine canadienne, dont vous connaissez peut-être La Servante écarlate. Avec Le temps du déluge, publié aux Etats-Unis en 2009, deuxième tome de sa trilogie de MaddAddam, elle nous plonge dans une société gangrenée par l’argent et les inégalités. Mais où malgré tout, résiste une vie presque invisible et souterraine, encore semblable à notre monde : celle des petites créatures qu’il faut protéger et chérir, pour espérer survivre. Et c’est justement à considérer cette survie souterraine, si je puis dire, que vous nous invitez aujourd’hui, Tanguy Schindler. Bonjour 

Tanguy Schindler : Bonjour. 

Léa Minod : Alors, vous êtes médiateur en vciences de la vie (biologie) et vous avez choisi aujourd'hui un extrait du prêche d'Adam Premier, qui est le chef d'une sorte de secte écologique ou religieuse, secte qui s'appelle les jardiniers de Dieu. Et avec ce prêche, Adam Premier prépare ses fidèles à survivre au Déluge des Airs. Qu'est-ce que c'est que ce Déluge des Airs qui menace ? 

Tanguy Schindler : Alors quand on lit l'œuvre, donc cette trilogie de Margaret Atwood, en fait, on découvre qu'il y a une sorte de prophétie. Si on les lit dans l'ordre, on sait dès le premier tome qu'elle est réalisée, puisqu'il y aura une forme de pandémie qui va se répandre sur le monde. On n'en connaît pas au début l'origine. Au moment où on en est là de la lecture, l'origine sera révélée. Mais je ne me permettrais pas de divulgâcher pour les personnes qui écouteraient. Et donc, en amont de ça, donc, les Jardiniers de Dieu dirigés par Adam Premier... 

Léa Minod : Donc cette secte ? 

Tanguy Schindler : Adam Premier décide de professer ceci et dire que cela va arriver et de former une communauté religieuse pour se protéger et se préparer à l'arrivée de ce phénomène. 

Léa Minod : Donc finalement, à réussir à survivre à ce phénomène qu'est le Déluge des Airs. 

Tanguy Schindler : Exactement. Donc ils vont investir différents endroits, se préparer et vivre... Devenir en fait… Devenir des individus autonomes dans une société où plus personne n'est autonome. 

Léa Minod : Alors pour en revenir au livre, est-ce que vous vous rappelez la première fois que vous l'avez lu ? Est-ce que ça vous a happé ? Comment vous étiez en tant que médiateur de sciences de la vie en train de lire ce livre ? 

Tanguy Schindler : Déjà, j'avais lu le premier tome qui s'appelle Le dernier homme, donc je l'ai lu dans la continuité… Et j'avoue que j'étais un peu curieux de connaître la suite, de voir ce qu'elle allait nous raconter de neuf, ce qu'elle allait nous apprendre un peu plus sur cet univers qu'elle avait créé. Et j'étais assez rapidement happé par justement ce côté mystico-scientifique qui fait en fait la base de cette secte « les Jardiniers de Dieu ». Et j'ai trouvé ça assez intéressant. Donc ça a éveillé chez moi une certaine curiosité... ma curiosité intellectuelle, scientifique qui était derrière, qui s'est mis un peu au diapason de ces personnages. Et j'ai trouvé que le livre était vraiment passionnant et très riche, et nous permettait de nous projeter aussi, de réfléchir sur nous-mêmes et sur notre société. 

Léa Minod : Et pourquoi est-ce que vous avez choisi cet extrait ? Donc il s'agit d'un prêche écologique, mais quand même d'un prêche. 

Tanguy Schindler : Alors dans le livre, il y a pas mal de choses qui ont trait à la science, mais qui plutôt sur l'application technologique de la science. Et finalement il n'y a que dans les prêches qui sont portés par Adam que l'on a une représentation du monde scientifique, ce qui est un peu un paradoxe. 

Léa Minod : Ce qui est paradoxal de faire passer une idée écologique à travers la religion. 

Tanguy Schindler : Oui c'est ça. En fait, on s'attendrait à ce que quelqu'un qui soit un tenant d'une réalité ou d'une vérité scientifique soit en opposition avec le fait religieux. Et là, justement, c'est là la richesse du travail qu'a fait Margaret Atwood dessus, c'est qu'elle a utilisé, à mon sens, le côté religieux en créant ses prêches pour faire passer des informations et des faits scientifiques. Donc, je trouve que c'est quelque chose qui est assez malin. Et projeté dans l'histoire du livre, quand on lit l'ensemble de la trilogie, on comprend que ce n'est pas complètement un hasard. C'est à dire que c'est un choix de Adam Premier d'essayer de passer sous les radars pour justement professer une écologie sans risquer d'être rattrapé par des autorités qui elles, seraient contre le fait écologique. C'est à dire qu'il ne voudrait pas d'un éventuel problème comme le réchauffement climatique ou le fait que les ressources sont limitées. Et donc utiliser la religion comme un outil. 

Léa Minod : Comme un prétexte. 

Tanguy Schindler : Comme un prétexte à créer des gens qui vont se réunir autour et qui vont accepter ça comme un fait établi, comme un fait, comme un fait religieux. 

Léa Minod : Donc est ce qu'ils croient vraiment ? On ne peut pas trop le savoir. 

Tanguy Schindler : Alors on aura des bribes de réponses dans le dans le dernier tome qui s'appelle MaddAddam, où on va suivre un peu plus le parcours d'Adam Premier. Pour vous révéler quelque chose, c'est quelqu'un qui a été élevé dans un contexte religieux, qui l'a profondément marqué, mais du coup, je pense qu'il détourne en fait ça, cette éducation, pour en faire quelque chose auquel il croit fondamentalement, qui est d'essayer de sauver la planète ou sauver les êtres humains et de sauver une idée qui est de vivre avec la planète telle qu'elle est et avec l'ensemble des êtres vivants tels qu'ils sont. Et c'est un peu ça. 

Léa Minod : Alors, pour contextualiser un petit peu l'extrait qu'on va entendre, où est ce qu'on est au moment du prêche d'Adam Premier ? 

Tanguy Schindler : Alors on est dans une ville, on ne sait pas si c'est New York. C'est probablement dans la banlieue d'une grande métropole qui a déjà commencé à s'écrouler. C'est à dire qu'on est dans un monde qui est un monde déliquescent, un monde où la société s'est déjà clivée entre des grandes corporations qui détiennent de l'argent, qui veulent gagner encore plus d'argent, qui ont des... ce qui a été défini comme étant des compounds, c'est à dire des mondes, des zones comme des sortes de forteresses entre elles. À travers ça, Margaret Atwood se rapproche un peu de la littérature cyberpunk où on a les méga corporations. Pour ceux qui ont vu, par exemple Blade Runner ou des films de ce type-là... Donc d'avoir des grosses sociétés où ils ont construit des complexes dans lesquels ils vivent. Ils vivent en autonomie. Et là, dans le monde de Margaret Atwood en fait, ces grosses méga sociétés se battent entre elles pour essayer de gagner, faire plus de profits. En fait, l'enjeu c'est le profit. Et peu importe le prix de ce profit. 

Léa Minod : Mais Adam Premier, lui, n'est pas du tout là-dedans. 

Tanguy Schindler : Adam Premier, il est issu de ça. Il s'est complètement déconnecté de ça. Et justement, lui, il professe quelque chose qui est beaucoup plus écologique. Et finalement, si on utilise des termes actuels que Margaret Atwood n'utilise quasiment pas parce qu'elle n'utilise pas la terminologie que nous avons, mais grosso modo, c'est quelqu'un qui est un "décroissant", c'est à dire que lui, il veut faire du recyclage, il veut réutiliser les objets. Il dit en fait, on n'a pas besoin de fabriquer de nouveaux objets, on en a suffisamment qui sont jetés et qu'on peut réparer, réutiliser. Donc il est plutôt dans une "économie circulaire" qu'une économie productiviste, comme le sont les méga-corporations qui peuplent le monde autour de lui. 

Léa Minod : Et tout ça à partir du toit d'un immeuble, puisqu'ils vivent sur des toits. 

Tanguy Schindler : Ils vivent sur des toits parce que comme ils veulent vivre en autonomie, il faut de la culture. Donc ils vont cultiver les champignons dans les caves et puis ils vont investir les toits des immeubles pour faire des jardins. Donc le jardin dans lequel ils sont, c'est un jardin sur un toit d'immeuble. La campagne, elle apparaît plutôt après le déluge. C'est à dire que là... 

Léa Minod : Vous nous avez divulgâché le déluge là du coup !  

Tanguy Schindler : Non, on le sait depuis le début. On le sait parce que l'ouvrage est structuré en ayant des périodes « avant » et « après » le Déluge. Donc on sait clairement que le déluge a lieu quel que soit le temps que l'on prend. Même si je préfère, je conseille de plutôt les lire dans l'ordre, de commencer avec Le dernier Homme, ensuite Le temps du déluge, et finir par MaddAddam. D'avoir vraiment quelque chose où la terre n'est présente qu’après le déluge. Et dans le reste, on est plutôt dans quelque chose qui est périurbain. Et donc je pense que c'est parce qu'il y a plus de surface au sol disponible pour la culture, qu'ils vont investir les toits. Et probablement s’ils sont sur les toits, c'est qu'ils sont aussi en sécurité. Parce qu'on n'est pas dans un monde qui est sûr. On est dans un monde où différentes catégories d'individus vont s'affronter, où finalement il y les corporations ayant toutes les ressources, les autres gens n'ont que les restes de ça et donc ils vont devoir se débrouiller. Alors c'est marrant parce qu'ils appellent ça les plèbes zones et donc ils utilisent le mot de la plèbe pour les définir, c'est à dire le bas peuple en français. Je pense que c'est quelque chose qui a été utilisée lors de la traduction, mais en tout cas c'est assez révélateur de ce qu'est ce monde-là, c'est à dire un monde pauvre, une sorte de cour des miracles à l'échelle d'une ville complète, donc où les gens se débrouillent... Même les magasins qui vendent des burgers, on ne sait pas exactement de quoi est fait le burger, est ce qu'il est fait de viande. Même il y a des moments où on peut supposer que des fois il y a des disparitions dans la ville, et peut être que les disparus se retrouvent dans les burgers. Donc il y a tout ça. Elle décrit un monde dans lequel la violence est présente. Elle ne fait pas du tout. Elle édulcore pas du tout les choses. C'est vraiment une violence qui est latente, qui est souvent le fait d'hommes. D'homme au sens masculin. Et ce qui est sans doute un thème récurrent chez elle. Je n'ai pas lu l'ensemble de son œuvre, mais on peut imaginer ça aussi. Et donc voilà, pour situer à peu près le contexte de l'extrait. 

Léa Minod : On retourne au prêche d'Adam Premier et on écoute son message écologique. 

LECTURE (Greg Germain) : Aujourd'hui est la journée de la Taupe, notre festival de la Vie souterraine. C'est avant tout la fête des enfants. Et nos enfants se sont affairés à décorer de somptueuses façon notre jardin de toiture d'Eden Falaise. Les Taupes avec leurs petites griffes faites à partir de dents peigne. Les Nématodes façonnés avec des sacs en plastique, les Lombrics obtenus à partir de collants fourrés et de ficelles. Les Bousiers. Louons la créativité du Seigneur, grâce à laquelle même l'inutile et l'immondice peuvent réacquérir un sens. Nous sommes enclins à négliger les petites créatures qui vivent parmi nous et pourtant, sans elles, nous n'existerions pas. Car chacun de nous est un jardin de formes de vie invisibles. Où serions-nous sans la Fleur qui tapisse nos parois intestinales, sans les Bactéries qui nous défendent contre les envahisseurs hostiles, nous grouillons d'une véritable multitude de mes Amis, de myriades de formes de Vie qui rampent sous nos pieds. Mais aussi, si je puis me permettre, sous les ongles de nos pieds. Certes, il nous arrive parfois d'être infectés par des nanobioformes dont nous préférions nous passer comme l'Acarien des cils, l'Ankylostome, le Morpion, l'Entérobiuse et la Tique, sans parler des bactéries et des virus hostiles. 

Mais nous devons voir en eux les plus petits des anges de Dieu qui accomplissent à leur façon son impénétrable dessein. Car ces Créatures, elles aussi, reposent dans l’Éternel esprit, brille de l'éternelle lumière et font partie de la symphonie polyphonique de la création. Considérez également ces ouvriers au sein de la terre. Sans le Lombric, le Nématode et la Fourmi qui vaillamment travaille le sol, celui-ci ne serait qu'une masse dure comme du ciment, ou périrait toute vie. Pensez aux propriétés Antibiotiques de l'Asticot et de diverses Moisissures, sans parler du miel que produisent nos abeilles, ni de la toile de l'Araignée si utile pour stopper une hémorragie. Pour chaque mâle, Dieu nous a donné un remède dans sa Grande Armoire à pharmacie naturelle. 

Léa Minod : Et voilà donc un extrait du prêche d'Adam Premier. Alors, chose étonnante, quand on le lit, on ne le voit pas à l'oral. Mais les lombrics, les bactéries et toutes les petites bêtes qui sont citées ont des majuscules. Pourquoi ? 

Tanguy Schindler : Alors déjà, il y a le fait que normalement en systématique, quand on va donner, alors là, ce ne sont pas les noms d'espèces, mais quand on donne les noms d'espèce, on va mettre des majuscules au début de chaque terme. Et je pense aussi, c'est parce qu'il les personnalise, il les considère... Enfin là c'est une volonté... Même, le terme « ami » en fait a une majuscule. « Nous grouillons d'une véritable multitude, mes Amis ». Et donc il y a quelque chose de, même « bactérie » a été rajouté en majuscule. Donc il y a plein de termes comme ça, avec les majuscules... Je pense que c'est pour renforcer le côté unique, important de ça. 

Léa Minod : Il y a aussi « éternel Esprit », « éternelle Lumière ». Il y a aussi toutes les références au divin. 

Tanguy Schindler : Au divin. C'est vraiment pour entremêler les deux. Je ne suis pas du tout théologique donc je vais sans doute dire des bêtises, mais globalement, on a souvent considéré que les autres formes de vie, à part l'homme et principalement dans la Bible, puisque l'homme est créé en premier, et puis Dieu va faire les animaux un peu pour peupler le monde parce qu'il s'ennuie, il est tout seul. Voilà. Et donc là, le rapport est inversé, c'est à dire qu’il met sur un pied d'égalité, l'homme et les autres espèces animales. Et même les autres espèces vivantes, puisque les bactéries ou l'ankylostome, ce sont vraiment des choses qu'aujourd'hui on a plutôt tendance à déconsidérer même nous à l'heure actuelle. Et donc il met ça sur un pied d'égalité. Et je pense que c'est la force de la majuscule. 

Léa Minod : Et aussi on entend qui brouille un peu les pistes entre le sacré et le trivial, ou entre, le divin et les détritus, comme, par exemple, il parle de la « créativité du Seigneur », grâce à laquelle l'inutile et l'immondice peuvent réacquérir du sens. Ou encore du fait « que nous grouillons de myriades de formes de vie qui rampent sous nos pieds ». Mais aussi, et là, c'est le trait d'humour « sous nos ongles de pieds ». Est-ce que c'est encore une manière d'égaliser un peu ce rapport entre le divin et entre le vivant ? 

Tanguy Schindler : Je pense qu'il y a ça. Et puis je pense qu'en fait Margaret Atwood est une femme qui doit être assez drôle. En fait, il y a pas mal de traits... Je trouve qu'il y a une sorte de second degré en fait dans la lecture de de son œuvre, même si c'est assez lourd puisqu'on est dans un monde qui est quasiment post-apocalyptique ou qui est en train d'être détruit ! Mais elle a toujours comme ça un trait d'humour, ce qui va permettre aussi d'alléger les choses. On pourrait considérer que ses textes sont un peu lourds par moments, et je pense que ces petits traits, ce petit côté un peu sarcastique, qu'elle va apporter, ce petit décalage, va permettre aussi au lecteur d'avoir des respirations à travers ça. Donc il y a à la fois effectivement l'égalisation des individus, mais aussi la volonté d'alléger un peu le texte… 

Léa Minod : … et de créer une connivence avec le lecteur. 

Tanguy Schindler : C'est ça ! Et il y a effectivement, et c'est se rendre compte que peut être aussi, c'est se dire que peut être qu'il n'y croit pas complètement. 

Léa Minod : Comment ça il n'y croit pas ?  

Tanguy Schindler : Que Adam ne croit pas complètement au religieux, mais qu'il croit peut-être concrètement à tout le reste. Et que le religieux ne serait que ce que je disais tout à l'heure, une couverture pour faire passer de la science. 

Léa Minod : Et d'ailleurs, il emploie beaucoup de termes scientifiques qui parlent de nanobioformes, d’acariens des cils. D'ailleurs, ils ont été découverts en 2004, ça je ne le savais pas. D'ankylostomes, de morpions, d'entérobiuse. Donc là, je vais m'adresser à vous qui connaissez un petit peu mieux que moi ces petites bêtes. De quoi il s’agit ? 

Tanguy Schindler : Alors, l'ensemble de ça, c'est ce qu'on appelle communément des parasites. On ne va pas les détailler chacun. Parce qu'en fait ils mélangent des choses qui sont à la fois plutôt de l'ordre à la fois unicellulaire ou de macro cellulaire, c'est à dire des choses qui sont un peu composées de de plusieurs cellules, ou dit "pluricellulaires" plutôt. Mais en tout cas, il va parler de choses qui sont très précises, mais aussi ça traite du cycle de la vie. Il n'y a pas d'individus utiles ou inutiles, enfin si ce n'est à notre regard humain ! C'est à dire que oui, on peut considérer qu'une tique ça nous est hostile, mais c'est un être vivant à part entière qui a son qui, au fil du temps, au cours de l'évolution, a pris une place en profitant, en buvant notre sang, etc. Au risque éventuellement de transmettre la maladie. Mais Il n'y a pas un côté "malin" au sens du mal, c'est à dire qu'elle ne cherche pas à nous rendre malades. C'est comme ça, c'est dans la vie. Donc les maladies, tout ça, fait partie du "cycle du vivant". On n'est pas plus important qu'une tique. On est différent, on occupe des places dans l'écosystème qui sont différentes. Et je pense que c'est ce qui est dit à travers ça. 

Léa Minod : Et c'est aussi ce qu'on retrouve dans cette phrase : « Les créatures font partie de la symphonie polyphonique de la création », où là il reprend un terme religieux. Mais il y a aussi cette symphonie polyphonique qui est assez jolie. Voilà. Est-ce que ça ne serait pas cette symphonie, ce qu'on appellerait un écosystème ? 

Tanguy Schindler : Le terme n’est pas donné, mais il est présent. Et on n'a pas été plus loin dans l'extrait, mais dans cet hommage, dans ce prêche, il va nous parler de tout ce qui est nécrophage, de tout ce qui est… 

Léa Minod : « Nécrophage », qui se nourrit... ? 

Tanguy Schindler : Des morts, etc. Et donc du cycle, vraiment, du recyclage de la matière organique. Donc quand on meurt !  Et pareil, dans son discours religieux, il n'y a pas de notion de Paradis ou de « vie après la mort ». Ça disparaît. En tous cas, ça n'est jamais évoqué. Mais par contre, les corps vont être enterrés et vont servir de compost. En fait, c'est ça, on est dans un tout. 

Léa Minod : Oui, c'est l'idée aussi que chaque élément ou chaque créature a son utilité, notamment quand il parle de l'Asticot qui ont des propriétés antibiotiques. Ça, c'était quelque chose que j'ignorais. Par exemple. 

Tanguy Schindler : Ça c'est un vieux truc de médecine, c'est à dire qu'on a en fait les asticots vont manger les chairs mortes au départ, et donc si vous avez une plaie qui commence à être infectée, etc. vous allez mettre les asticots, donc ils vont manger ça, ce qui fait que l'infection risque de diminuer. Ce qui est aussi intéressant, c'est que clairement, on a quand même une autrice qui est documentée, qui va s'intéresser, qui est cultivée.  Même, elle explique à un moment donné comment il faut l'utiliser, c'est à dire qu'il ne faut pas les laisser trop longtemps parce que si on les laisse trop longtemps, les... 

Léa Minod : ... Asticots. 

Tanguy Schindler : Les asticots oui.  

Léa Minod : Sur la plaie ?  

Tanguy Schindler : Sur la plaie. Quand ils n'ont plus de chair morte à manger, ils vont manger la chair vivante. Ils vont continuer donc. Donc il faut surveiller. Donc je trouve que c'est intéressant, c'est qu'elle va aussi nous dire un peu comment soigner des plaies. 

Léa Minod : Et même comment stopper une hémorragie. 

Tanguy Schindler : Comment stopper une hémorragie avec effectivement la toile d'araignée. 

Léa Minod : Ça, vous étiez au courant ? 

Tanguy Schindler :  Quand on a préparé ça, j'ai été vérifier. Effectivement, ça a l'air d'être un fait établi qu'on peut utiliser la toile d'araignée pour arrêter une hémorragie. Ce qui est assez intéressant, oui. 

Léa Minod : Il y a aussi donc le miel avec ses propriétés antiseptiques. Enfin, comme si les moisissures aussi, qu'on connaît avec la pénicilline, mais comme si tous les remèdes étaient déjà offerts par la nature. Est-ce que c'est aussi l'idée qu'un poison, par exemple ? Je ne sais pas, la moisissure peut devenir un remède ? 

Tanguy Schindler : Mais mes collègues chimistes vous diront que tout est poison. En fait, c'est une question de dose. Donc ça, c'est assez célèbre pour les chimistes, c'est à dire que, effectivement, on va donner on va dire, des traitements qui à certaines doses vont nous être bénéfiques et si on dépasse la dose, ils vont être toxiques. Et aujourd'hui une des pistes pour, par exemple, pour soigner le cancer, ça a été les premières thérapies contre le cancer, c'était à partir de l'if. 

Léa Minod : De l'if ?  

Tanguy Schindler : Oui, de l'if en fait c'est le nom de la molécule m'échappe, mais elle a été synthétisée à partir de ça. Et puis on peut passer de l'aspirine dans l'écorce de saule. Il y a comme ça des choses... Donc, dans le dans le vivant, on explore aujourd'hui beaucoup les molécules du vivant, surtout les molécules complexes, pour essayer de trouver des remèdes à des maladies présentes aujourd'hui. Et ça aussi c'est intéressant. C'est à dire que si on a une réduction de la biodiversité, possiblement on peut perdre aussi des traitements qu'on n'a pas encore découverts. 

Léa Minod : Et qui ne sont pas encore chimiques. 

Tanguy Schindler : « Chimique » en fait, ça veut dire ça veut dire qu'au lieu d'aller chercher, je ne sais pas si... vous prenez votre aspirine... 

Léa Minod : ... Au lieu de la chercher dans la nature. 

Tanguy Schindler : Voilà, vous pouvez prendre de l'écorce de saule, en faire une infusion, vous allez obtenir ce qui permet de produire l'aspirine, vous allez avoir dans votre dans votre infusion. Bon, le problème c'est que si vous voulez soigner. Euh...  

Léa Minod : ... Un gros mal de tête. 

Tanguy Schindler : Un gros mal de tête ou beaucoup d'individus parce qu'on est très nombreux sur terre, vous n'allez pas pouvoir le produire, vous n'aurez probablement pas assez de saule et assez d'écorce pour faire ça. Donc à un moment donné, on va avoir recours à de la synthèse, c'est à dire qu'on va fabriquer artificiellement le produit, mais ça va rester le même. C'est simplement la méthode de production qui a changé.  Mais ça reste la même molécule, c'est le même élément, et c'est vrai pour tout, mais on synthétise ça, ça va être plus pur, ça va permettre aussi de contrôler la qualité. C'est à dire que dans votre écorce de Saule, il n'y a pas que votre principe actif, il peut y avoir d'autres choses. Donc finalement, le côté ce qu'on appelle le côté chimique aujourd'hui est considéré un peu comme quelque chose de mauvais ou de désagréable, en fait, ça a été développé à la fois pour augmenter la quantité et donc la concentration du produit, donc d'augmenter l'efficacité et aussi de résoudre des problèmes d'hygiène, donc de sécurité alimentaire tout simplement !  

Léa Minod : Et alors, pour conclure, si vous deviez retenir un seul message de ce texte, et je vais vous donner deux options, ça serait plutôt une mise en garde apocalyptique contre un futur qui pourrait nous arriver, ou alors un appel à renouer avec le vivant ?  

Tanguy Schindler : Je suis très embêté parce que j'ai envie de dire les deux, mais si je dois vraiment faire un choix, je pense que la mise en garde apocalyptique est déjà pas mal parce que en fait, elle se fait en opposition dans le livre et elle se fait en opposition avec le vivant. Et je pense que c'est déjà pas mal. Je pense que c'est un futur qui, quand on lit le livre, on n'est pas si loin que ça. 

Léa Minod : Donc si on est conscient de cette apocalypse, peut-être qu'on va renouer avec le vivant ! 

Tanguy Schindler : C'est bien pour ça que je disais « les deux » !  

Léa Minod : De causes à conséquences. C'est ça ? 

Tanguy Schindler : Exactement. 

Léa Minod : Merci beaucoup Tanguy Schindler pour cette invitation à regarder autrement cette vie invisible. 

Tanguy Schindler : Merci à vous. 

Léa Minod : En écoutant Adam Premier, on peut penser à ce vieux conte où un père souris cherche à marier sa fille au plus puissant de l'univers. Il va voir le soleil, bien sûr, mais le soleil l'envoie vers le nuage. Car le nuage cache le soleil. Et puis le nuage le redirige vers le vent, qui chasse le nuage. Et ce même vent lui dit qu'il ne peut rien contre un mur. Alors quand le père arrive au mur, ce dernier affirme qu'il n'est pas plus fort que la souris qui le grignote. Et le père finit donc par marier sa fille souris à une autre souris, « la plus forte de l'univers ». 

Et voilà une manière de rappeler comment l'immensément petit, le discret et parfois même le nuisible, participe à l'équilibre de notre monde. 

Conclusion : Pour d’autres plongées dans les Sciences lues, c’est le nom de cette série, rendez-vous sur le site du Palais de la découverte et sur les plateformes de podcasts.