Des symétries en littérature 

Par Michèle Audin, mathématicienne et membre de l'OULIPO

 

Recette du palindrome

ICI est un mot symétrique. Plus généralement, un texte est susceptible de symétrie s'il a aussi un sens lu dans l'autre sens, par exemple en prenant les lettres une à une. Ainsi ESOPERESTE donne, lu dans l'autre sens, ETSEREPOSE. Le symétrique du texte « Esope reste » est donc « et se repose » si les espaces ne comptent pas.

 

Si on juxtapose le texte et son symétrique, on obtient un texte qui est son propre symétrique, ce que l'on appelle un palindrome (ici, de lettres). Ainsi : « Esope reste et se repose » est un palindrome. On peut lui ajouter quelque chose de symétrique (au centre) sans changer ce fait. Par exemple le mot symétrique « ici » : « Esope reste ici et se repose ».

 

De même ECART est le symétrique de TRACE, et un mot d'une lettre tel que « l » est son propre symétrique. Donc « Trace l'écart » est un palindrome. Et on peut lui ajouter du texte (symétrique) au centre. Avec beaucoup d'imagination, on peut ainsi écrire un « Grand palindrome » de 1247 mots, ce qu'a fait Georges Perec en 1969 : « Trace l'inégal palindrome...ne mord ni la plage ni l'écart. ».


Mais "lu dans l'autre sens" a plusieurs sens possibles...

"Lu dans l'autre sens" a plusieurs sens

Un texte peut être symétrique d'autres façons. Par exemple parce qu'il est constitué de mots ou groupes de mots que l'on peut lire dans un sens ou dans l'autre.

 

« Parfois | chargés | de souvenirs | et | de nuages | également | se compose | le temps | à Rennes »

ou

« A Rennes | le temps | se compose | également | de nuages | et | de souvenirs |  chargés | parfois »

 

Cet exemple est extrait d'un itinéraire urbain proposé sur une esplanade de la ville de Rennes par l'Oulipo : les groupes de mots sont gravés dans des clous plantés dans le sol. Toute promenade crée un texte sensé, les allers-retours sont des palindromes, mais des palindromes de groupes de mots cette fois-ci.

                                                                                              

télécharger le pdf des "clous de l'esplanade de Rennes" ( ci dessus )

 

Bien entendu, l'Oulipo et d’autres proposent une vaste panoplie de palindromes en tous genres. Les palindromes phonétiques de Luc Étienne, « Jeanne en luge, Jules en nage », par exemple. Et l'utilisation de la symétrie en littérature ne s'arrête pas aux palindromes...

Il n'y a pas que les palindromes…

Voici un autre exemple d'utilisation de la symétrie par l'Oulipo. Ce poème de Paul Fournel obéit à une contrainte portant sur les rimes, connue des troubadours et qu’il choisit d’appeler l'étreinte.

 

N’allez pas penser que cela rime à r[ien]

Cela rime ou rimera un peu plus [tard]

Il faut pour bien lire ce genre de po[ème]

Avoir le goût formé à l’art de la pa[tience]

La rime vient toujours à qui saura l’at[tendre]

Pour rassurer les impatients voici au co[eur]

 

Du drame la rime plate, quel bonh[eur],

Tout cela donne aux vers un petit goût bien [tendre]

A l'air mélodieux qui ne sent pas la [science]

Un bon vieux bout-rimé comme tous on les [aime]

Cabriole paisible qui rime avec re[tard]

Où pour finir ce rien retrouvera son b[ien]

 

Le texte de Jacques Roubaud qui suit est le symétrique d'un texte célèbre. Lequel ? De quelle symétrie parle-t-on ?

 

40 Dieu dit : plus de lumière. Et lumière s’en fut. 41 Dieu vit que les ténèbres étaient bonnes. 42 L’esprit de Dieu se balançait par dessus les eaux. La terre était néante et lourde. Ténèbres par-dessus l’abîme 43 Dieu décréa le ciel et la terre. 44 Si fut fait de soir et matin le dernier jour.

 

Dans toute cette affaire, la symétrie utilisée est assez simple, basée sur un groupe de deux éléments (lire dans un sens, lire dans l'autre). Mais on peut imaginer des textes obtenus par des symétries plus compliquées…

EN SAVOIR +

"X parle à Y de Z"
Page web de Michèle Audin sur le site Images des mathématiques.
Disponible en ligne