Alizée Chemison, doctorante dans l’équipe Modélisation du climat au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement (LSCE) étudie le lien entre la fonte des glaces du Groenland et l’évolution du risque de transmission du paludisme en Afrique. Elle présente sa démarche scientifique étape par étape et fait tourner en direct des modèles de calcul du risque de transmission de la maladie, alimentés par des simulations climatiques.

L'observation et la compréhension d'un phénomène (chute des corps, climat, transmission du paludisme...) est traduite en équations mathématiques qui incluent des paramètres. L'ensemble de ces équations représente un modèle de la réalité. Des programmes informatiques, implémentés sur des ordinateurs, trouvent les solutions des équations à partir d'informations fournies en entrée (valeurs des paramètres). Selon ces données d'entrée, les résultats de sortie sont différents.

Le climat et les modèles qui le représente évoluent avec le taux de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Cette évolution est une donnée d'entrée pour les modèles climatiques qui leur permet de calculer des valeurs de température et de précipitations en différentes régions du monde sur des périodes variables.

Les valeurs de température et de précipitations conditionnent les cycles de vie du moustique et de son parasite responsable du paludisme. Ces résultats climatiques calculés en Afrique tout au long du 21ème siècle sont utilisés par des modèles de « paludisme » capables de calculer si le paludisme est présent ou non en différents points du continent et à différents moments. Les résultats sous forme de 0 (pas de paludisme) et de 1 (présence de paludisme) servent ensuite au calcul du nombre de mois par an pendant lesquels il y a un risque de transmission du paludisme. Cette valeur est nommée LTS (Length of malaria Transmission Season ou durée de la saison de transmission du paludisme). La LTS dépend des scénarios expérimentés dans l'étude (ils prenent en compte ou non la fonte des glaces). Elle est représentée sous forme de cartes, ce qui permet des comparaisons faciles entre les scénarios. L'évolution de la LTS est analysée à la lumière des évolutions de la température et des précipitations.

Dans cette étude, un scénario est pris comme référence. C'est le scénario RCP8.5 où les émissions continuent de croître au rythme actuel tout au long du 21ème siècle. Les scénarios testés dans les simulations sont des scénarios RCP8.5 qui tiennent compte de la fonte des glaces. En fondant, la glace du Groenland s'écoule dans la mer du Labrador ce qui contribue à élever le niveau des océans. Si toute la glace du Groenland fondait, les eaux s'élèveraient de 7 mètres. Le scénario Greenland1m correspond à une montée des eaux de 1 mètre. Plus généralement, un scénario GreenlandXXm correspond à une montée des eaux de XX mètres.

 

L'impact de la fonte des glaces du Groenland est évalué en comparant les valeurs de la durée de transmission (LTS) obtenues avec plusieurs scénarios. Comparer des valeurs revient à calculer des différences. Par exemple, la différence entre les valeurs des LTS obtenues avec le scénario Greenland3m (correspondant à une fonte des glaces qui élève le niveau de la mer de 3 mètres) et celles obtenues avec le scénario de référence sans fonte de glace. Les différences sont représentées par un code couleur sur toute l'Afrique. Les couleurs vertes visibles sur la carte au sud de l'Afrique représentent une augmentation de la durée de la saison de transmission du paludisme de 1 à 3 mois.

L’ Afrique concentre 94% des cas de paludisme, une maladie due au parasite P. falciparum transmis par des moustiques infectés (moustiques femelles Anophèle). Les cycles de vie des moustiques et de leur parasite sont perturbés par le changement climatique. Les moustiques ont besoin de zones humides pour pondre leurs oeufs et peuvent vivre à des températures comprises entre 16°C et 40°C. La température influence la durée entre les piqures d'un moustique et aussi le développement du parasite dans son corps.

Les cartes des données climatiques (simulations des températures et des précipitations) sont utilisées pour expliquer les résultats des simulations du risque de paludisme. Les augmentations du risque de transmission du paludisme (LTS) dans le sud de l’Afrique et en Afrique centrale sont plus corrélées aux variations de précipitations qu’aux variations de température. L'augmentation des précipitations permet l'apparition de zones de pontes (flaques, mares...) pour les moustiques ce qui favorise l'augmentation des populations de moustique Anophèles vecteur du paludisme.

La fonte des glaces et le climat africain

Les changements climatiques impacteront les cycles de vie des moustiques et de leur parasite responsable du paludisme, mais comment le climat africain peut-il être perturbé par la fonte des glaces au Groenland ?
La circulation océanique globale peut être vue comme un tapis roulant. Dans l’Atlantique, un courant d’eau chaude (et donc légère, en surface) part de l’Equateur vers le pôle Nord. Là l’eau se refroidit, ce qui l’alourdit et la fait plonger dans les profondeurs, où elle continue son voyage à travers le monde. Cependant, quand elle se mélange à l’eau douce issue de la fonte des glaces, elle devient moins salée et donc moins dense. Plus légère, elle plonge moins en profondeur, ce qui ralentit la circulation océanique, entraînant des conséquences en cascade sur la circulation atmosphérique (les températures et le régime des moussons) et donc sur le climat en Afrique.

Cycles de vie du moustique et du parasite

Le paludisme (malaria en anglais) est une maladie vectorielle. Elle ne se transmet pas d'humain à humain. La maladie est causée par un parasite qui a besoin de l'humain et du moustique pour se développer. Les moustiques femelles qui abritent le parasite dans leurs glandes salivaires peuvent le transmettre aux humains lorsqu'elles les piquent pour prélever le sang nécessaire à la maturation de leurs oeufs. En Afrique, les moustiques qui véhiculent le parasite appartiennent à l'espèce des Anophèles et le parasite à l'espèce Plasmodium falciparum .

A l'abri dans le corps humain, le parasite est protégé des variations de température et des précipitations. Lorsqu'il passe dans le moustique (un insecte "à sang froid"), le parasite devient sensible à la température extérieure. Cette grandeur climatique influence la durée du développement du parasite, tant qu'il n'est pas transmis à un humain.

Remerciements