Il faut faire preuve d’esprit critique.  Cette expression, entendue dans des contextes variés, sonne souvent comme une évidence. La sensibilisation à l’esprit critique, spécifiquement dans le monde de l’éducation, est un enjeu majeur face à une surabondance d’informations erronées. Toutefois, la notion d’esprit critique est rarement explicitée. Quelle définition pourrait en être donnée ?

Dans le langage courant, l’esprit critique est tantôt assimilé à la démarche scientifique, tantôt limité à la capacité à faire preuve d’un doute rationnel, et souvent cantonné à la correction des fausses informations. Il s’agit généralement de discerner le « vrai » du « faux ». Mais que recouvre réellement cette notion ?

Au cours de la conception de l’exposition, nous avons travaillé avec un comité scientifique, dont certains membres appartiennent au projet de recherche « Définir et éduquer l’esprit critique ». Ce dernier a pour objectif de fournir des outils pour l’éducation à l’esprit critique et d’évaluer l’ensemble des outils déjà existants. Leur travail recense certaines définitions de l’esprit critique.

Source : Pasquinelli, E., Farina, M., Bedel, A. & Casati, R. (2020). Définir et éduquer l’esprit critique [Rapport]. Institut Jean-Nicod.
 

Une partie des mêmes auteurs a produit également un rapport pour le Conseil scientifique de l’Éducation nationale.

Source : Pasquinelli, E., Bronner, G. et al. (2021). Éduquer à l’esprit critique – Bases théoriques et indications pratiques pour l’enseignement et la formation [Rapport]. CSEN.
 

Ces deux rapports présentent une synthèse détaillée et commentée des débats relatifs à la notion d’esprit critique. Il existe une littérature scientifique assez abondante sur cette question, notamment dans le monde anglo-saxon. Depuis plusieurs décennies, l’esprit critique et son évaluation y font l’objet d’une attention particulière (des tests comme le Watson-Glaser Critical Thinking Appraisal ou le California Critical Thinking Test y sont déployés largement).

Signalons d’emblée que malgré des recherches foisonnantes, cette notion d’esprit critique ne fait pas l’objet d’un consensus scientifique ferme. Toutefois, certaines caractéristiques générales recoupent l’ensemble des approches.

Voici une première définition, assez représentative des travaux recherche sur le sujet : « La pensée critique est un jugement volontaire et réflexif qui se manifeste en considérant de manière raisonnée les preuves, le contexte, les méthodes, les standards et les conceptualisations afin de décider quoi croire ou quoi faire. »

Sources (en anglais)  :
Facione, P. A. (2011 [2006]). Critical Thinking: What It Is and Why It Counts. Measured Reasons and The California Academic Press, Millbrae, CA.

Cette définition, bien que concise, n’est pas vraiment explicite. Elle ne donne pas d’indices sur comment faire preuve d’esprit critique au quotidien. Une autre approche consiste à lister des compétences et des attitudes liées à l’esprit critique.

Source (en anglais)  : Ennis, R. H. (2016). Critical Thinking Across the Curriculum: A Vision. Topoi, 37(1).


Une liste de ces compétences et attitudes se trouve de manière simplifiée sur ce schéma
 


Cette approche est plus explicite mais a l’inconvénient de donner l’illusion que ces capacités et attitudes peuvent s’exercer quel que soit le contexte, une fois qu’on les maitrise, ce qui est loin d’être le cas. Or on raisonne toujours sur quelque chose. L’esprit critique s’applique toujours à un domaine spécifique, il est donc également associé à un ensemble de connaissances sur un sujet donné.

Une synthèse détaillée et commentée de ces débats peut être trouvée dans le rapport du projet « Définir et éduquer à l’esprit critique ». Ces auteurs proposent leur propre définition, dans laquelle les mécanismes de l’évaluation de l’information et ceux de la prise de décision sont pris en considération séparément.

Selon eux, l’esprit critique serait défini par « l’ensemble des capacités et des critères qui permettent d’évaluer la qualité épistémique des informations disponibles et de doser de façon conséquente notre confiance en ces informations, en vue de prendre une décision, de se forger une opinion, d’accepter ou de rejeter une affirmation à bon escient (…) »

La « qualité épistémique » se comprend comme la qualité d’une information : une affirmation « est-elle plausible à la lumière des connaissances existantes? Est-elle basée sur des preuves solides? La source de l’information est-elle fiable? »

Dans la perspective de ces auteurs l’esprit critique a pour objectif l’optimisation de la cohérence entre les croyances et la réalité. Ils examinent dans ce rapport les moyens pour « outiller » l’esprit critique, c’est-à-dire pour évaluer correctement les sources et les contenus d’information. Spécifiquement, dans le contexte du questionnement scientifique, ces moyens semblent fondamentaux. La compréhension de la nature des sciences, de leur fonctionnement semble incontournable (voir la partie 5)
 

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