Qu’elle coule du robinet ou tombe du ciel, une goutte est une goutte… Du moins à l'œil nu ! Et pourtant, à y regarder de plus près - ou plutôt « de plus loin » si l’on se met au diapason du temps géologique - chaque goutte d’eau raconte une histoire différente : une histoire de chimie, de passé, et de paysages.
La rivière et le bulldozer est un essai de Matthieu Duperrex, philosophe, artiste et performeur, paru en 2022. Il présente de manière originale au sein de la pensée écologique contemporaine une profusion de récits sur les fleuves et les sols, les sédiments et nous propose « d'ausculter notre condition minérale ».
Également sur le sujet, le médiateur vous conseille la lecture de La Terre habitable - ou l’épopée de la zone critique de Jérôme Gaillardet (La Découverte, 2023)
À noter : une erreur s’est glissée dans le texte lu dans le podcast. Il faut entendre « chlorure d’ammonium » au lieu de « le chlorure, l’ammonium ».
Découvrez un extrait du texte de La rivière et le bulldozer
L’eau venue du ciel n’abonde pas bêtement à la rivière. Elle n’est pas neutre, ce d’autant qu’elle s’est chargée du dioxyde de carbone atmosphérique dont l’acidité, une fois l’eau infiltrée dans le sol, va attaquer les minéraux. Toute une machinerie chimique complexe se déroule ainsi sur le mètre cinquante de berge qui borde la rivière et qu’on nomme la ripisylve. De nombreux vivants, dont les herbes et les arbres, ne prennent part à cette fabrique de particules sédimentaires qu’à la faveur de ses montées de régime, le cours d’eau emportera, tantôt d’un pH acide, tantôt oxygéné, parfois chargé de nombreuses matières organiques, qui bien plus loin, favoriseront les efflorescences de plancton dans l’océan.
À rebours d’une vision qui voudrait tout résumer à de la mécanique des fluides, les rivières du bassin versant sont donc plus que des émissaires hydrauliques ; elles sont des « traductrices », et les sédiments sont leur lexique.
Depuis les rives de votre rivière, vous vous interrogez sur ce jeu de traductions. Les particules d’eau sont-elles les syllabes de l’écriture des fleuves ? Car rien n’est plus simple en apparence, rien n’est plus élémentaire qu’une goutte d’eau.
La vie sur Terre est infiniment comptable de l’eau. Mais imaginez seulement la chose suivante : une goutte d’eau dans le fleuve ; à côté d’elle, cette autre goutte d’eau. C’est simple et « concret ». On dit bien « se ressembler comme deux gouttes d’eau », n’est-ce pas ? L’une est pourtant de nature météorologique : elle vient tout juste de naître d’un nuage, elle est teintée d’acidité, car elle provient d’une pluie qui a dissous du dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère. L’autre est au moins millénaire, elle est issue de l’infiltration des sols et a résidé dans des réservoirs karstiques, son séjour lui a légué une charge bicarbonatée calcique. Chacune de ces deux gouttes d’eau est à sa façon, selon son mode et sa durée, une traduction chimique de la vie.
Soufian Henchiri (Médiateur)
Léa Minod (Journaliste)
Viktor Lazlo (Lecture)
Bertrand Chaumeton (Réalisation)
Écran sonore (Production exécutive)