Nicolas Copernic

De revolutionibus orbium coelestium

Philippe Thébaut, astrophysicien, chercheur à l'Observatoire de Paris et médiateur, nous partage la lecture d’un texte extrait de l'ouvrage de Nicolas Copernic « De revolutionibus orbium coelestium » qui a véritablement révolutionné et bousculé la vision du monde tel qu’on se l’imaginait, tout en marquant le début d'un long processus de détermination scientifique sur le système solaire.


À propos de Nicolas Copernic

 « De revolutionibus orbium coelestium » est un ouvrage publié en 1543, dans lequel l’astronome polonais Nicolas Copernic expose son modèle héliocentrique du cosmos qui affirme que la Terre orbite autour du soleil en 1 an en plus de tourner sur elle-même en 24h. Ce modèle remet en cause de manière radicale le géocentrisme, hérité des savants grecs antiques et jusqu’alors universellement accepté en Europe et dans le monde arabo-musulman, dans lequel la Terre était censée être immobile et située au centre du cosmos.

Même si l’idée héliocentrique avait sans doute été envisagée par certains savants antiques (notamment Aristarque), Copernic est le premier à proposer un système du monde complet et mathématiquement cohérent basé sur ce concept. Copernic va travailler plus de trente ans sur son modèle et c’est poussé par son disciple Rhéticus qu’il finit par publier ses travaux en 1543, l’année de sa mort. Contrairement à ce que l'on croit parfois, Copernic est parfaitement conscient du caractère « révolutionnaire » (dans tous les sens du terme, la « révolution » étant, en astronomie, le mouvement périodique d’un astre autour d’un autre) de ses théories. Contrairement à ce qu’on croit parfois aussi, il ne se « défile » pas et est prêt à défendre ses idées bec et ongle. La préface qu’il dédie, en bon catholique (et prudent diplomate !) au Pape Paul III, en est une parfaite illustration. Il y réfute par avance les critiques que pourraient lui faire des théologiens ou penseurs qui ne se baseraient que sur des arguments idéologiques et religieux, et il y affirme, dans une phrase qui nous apparaît d’une étonnante modernité, que « les mathématiques sont écrites pour les mathématiciens ».


Découvrez le texte de la préface du
De revolutionibus orbium coelestium

Je puis fort bien m'imaginer, très Saint-Père, que dès que certaines gens auront appris que, dans ces livres que j'ai composé sur les révolutions des sphères du monde j'attribue au globe terrestre certains mouvements, ils vont aussitôt crier qu'il faut me mettre au ban avec une telle opinion. Aussi, comme je me représentais combien absurde estimeraient cette doctrine, ceux qui savent être confirmés par le jugement de nombreux siècles. L'opinion que Terre est immobile au milieu du ciel comme si elle en était le centre.

Et j'affirmais, au contraire, que la terre se meut.

J'ai longuement hésité. Publierai-je les livres que j'ai écrit pour démontrer son mouvement, ou bien ne serait-il pas préférable de suivre l'exemple des Pythagoristes, et de quelques autres, qui ont accoutumé de transmettre, non pas par écrit, mais de la main à la main, les mystères de la philosophie à leurs proches et à leurs amis, ainsi qu'en témoigne la lettre de Lysis à Hipparque.

Et, me semble-t-il, s'ils ont agi ainsi, ce n'est nullement, comme le pensent certains, parce qu'ils refusaient jalousement de communiquer leurs connaissances, mais pour éviter que des choses très belles et étudiées avec beaucoup de peine par les grands hommes ne soient méprisées par ceux qui répugnent à consacrer un effort sérieux aux études, sauf à celles qui rapportent, ou par ceux qui, même incités par des exhortations et l'exemple d'autrui à l'étude libérale de la philosophie. Cependant, en raison de la stupidité de leur esprit, sont parmi les philosophes comme les bourdons, parmi les abeilles. C'est pourquoi, comme j'agitais en moi-même ces idées, le mépris qui était à craindre en raison de la nouveauté, de l'absurdité de mon opinion, m'avait presque poussé à interrompre définitivement l'œuvre que j'avais commencé.

Cependant, mes amis vinrent à bout de mes longues hésitations, et même de ma résistance. Si d'aventure, il se trouve de vains discoureurs, qui, tout en étant totalement ignorant des mathématiques, prétendent néanmoins juger de ces matières. Et qui, en raison de tel ou tel passage de l'écriture de l'alignement détourné dans le sens de leurs opinions osent blâmer et attaquer mon œuvre, et bien, je ne me soucie aucunement d'eux. Mieux, je méprise leurs jugements comme téméraires. On n'ignore pas, en effet, que Lactance, par ailleurs célèbre écrivain, mais piètre mathématicien, parle d'une façon tout à fait puérile de la forme de la Terre lorsqu'il tourne en dérision ce qui ont enseigné que la Terre a la forme d'un globe. C'est pourquoi les savants ne doivent pas s'étonner si de telles légendes tournent aussi en dérision. Les mathématiques sont écrites pour les mathématiciens. Aux yeux de qui mes travaux, si je ne me trompe, paraîtront apporter quelque chose à la République ecclésiastique dont la sainteté occupe actuellement la tête.