Stephen Jay Gould

Et Dieu dit : « Que Darwin soit ! »

Tanguy Schindler, notre médiateur en sciences de la vie, nous partage la lecture d’un texte extrait de l’ouvrage de Stephen Jay Gould « Et Dieu dit : "Que Darwin soit !" », paru en 1999. Ce texte nous présente sa théorie du non recouvrement des magistères qui, selon Stephen Jay Gould, pourrait ramener la paix entre la religion et la science. Il nous invite ainsi à considérer que la science et la religion posent des regards disjoints sur le monde et qu’en aucun cas l’une ne peut expliquer l’autre. 


À propos de Stephen Jay Gould

Stephen Jay Gould, né le 10 septembre et mort en 2002, est un paléontologue spécialiste de l’évolution. Il est connu par le grand public pour ses ouvrages de vulgarisation tel que « Le Pouce du panda » ou « Le Sourire du flamant rose ». Au cours de sa carrière il s’est fortement opposé au mouvement créationniste aux États-Unis et a lutté contre la théorie de « l’intelligence design  ou dessin intelligent » qu’il qualifiait de pseudo-science.  

Depuis sa formulation par Darwin au XIXe siècle, la théorie de l’évolution a été fortement décriée par le monde religieux. Aux États-Unis ces dernières années, créationnistes et évolutionnistes se livrent un long combat acharné. Dans son ouvrage « Et Dieu dit : "Que Darwin soit !" », paru en 1999, Stephen Jay Gould nous présente sa théorie du non recouvrement des magistères ou Non-Overlapping Magisteria (NOMA) qui selon lui, pourrait ramener la paix entre la religion et la science. Dans cette théorie, il nous invite à considérer que la science et la religion posent des regards disjoints sur le monde et qu’en aucun cas l’une ne peut expliquer l’autre. Même si certains biologistes plus radicaux comme Richard Dawkings y voient une forme de lâcheté. Mais écoutons plutôt ce que Stephen Jay Gould a à nous dire.


Découvrez le texte
Et Dieu dit :
« Que Darwin soit ! »

Je ne vois pas comment l’on pourrait unifier ou seulement synthétiser science et religion en un projet commun d’explication ou d’analyse ; mais je ne comprends pas non plus pourquoi ces deux entreprises devraient se trouver en conflit. La science s’efforce de rendre compte des faits du monde naturel et de construire des théories pour les relier et les expliquer. La religion, quant à elle, s’occupe d’un domaine non moins important mais totalement différent, celui de nos buts, options et valeurs – questions que le point de vue scientifique peut sans doute éclairer, mais en aucun cas résoudre. En particulier, s’il est certain que les scientifiques doivent respecter des principes éthiques, dont certains liés à leur domaine particulier, la validité de ces principes ne saurait être déduite de leurs découvertes factuelles.     

    Je propose de résumer ce principe majeur de respect mutuel sans interférence – qui n’exclut pas un intensif dialogue entre les deux secteurs, chacun s’occupant d’une facette essentielle de l’existence humaine – en énonçant le principe de NOMA, NOn- empiètement des MAgistères. J’espère que mes collègues catholiques ne m’en voudront pas de faire mien ce terme tiré de leur discours, puisqu’un magistère (du latin magister, c’est-à-dire « enseignant ») n’est pas autre chose qu’un domaine de compétence. 

    Le mot « magistère » est certes un peu inusité, mais je le trouve si joliment approprié au dessein de ce livre que je me risque à infliger cette nouveauté au vocabulaire de nombre de lecteurs. Cette requête d’indulgence et de sacrifice se double d’une exigence : veuillez bien ne pas inclure le terme « magistère » dans une série presque homonyme, à la signification toute différente. « Majesté », « majestueux », etc., ont une tout autre connotation ; la confusion est fréquente, du fait que le catholicisme est également fort diligent en ce domaine. Ces mots ont une autre origine : majestas (mot lui-même dérivé de magnus, c’est-à-dire « grand »), qui implique domination et obéissance inconditionnelle.

Bien différemment, un magistère est un domaine où une certaine forme d’enseignement détient les outils appropriés pour tenir un discours valable et apporter des solutions. Autrement dit, dans le cadre d’un magistère, on débat, on dialogue, tandis que face à la majesté s’imposent la révérence silencieuse et la soumission. 

Pour résumer, quitte à me répéter un peu, la nasse de la science, son magistère, concerne le domaine empirique : en quoi consiste l’Univers (les faits) et pourquoi il fonctionne ainsi (la théorie). Le magistère de la religion s’attache, lui, aux significations ultimes et aux valeurs morales. Ces deux magistères n’empiètent pas l’un sur l’autre. Par ailleurs, ils ne recouvrent pas toutes les sortes de recherche – que l’on songe notamment au magistère de l’art, au sens de la beauté. Pour reprendre des lieux communs, la science s’intéresse à l’âge des rocs, la religion au roc des âges ; la science étudie comment fonctionne le ciel, la religion comment faire pour le gagner.