Étant donné la difficulté à définir l’esprit critique, nous pouvons nous interroger : le peu de consensus à son propos et les faiblesses des études contrastent avec l’apparente nécessité de son apprentissage. Comment évaluer si la stratégie mise en œuvre pour l’outiller est efficace ? En fonction de l’approche de l’esprit critique choisie, les idées peuvent diverger.

Par ailleurs, il ne semble pas exister de capacité générale s’appliquant quel que soit le contexte : nous pouvons faire preuve d’esprit critique dans un domaine et pas dans un autre, à un moment et pas à un autre… N’y a-t-il pas pour autant des leviers efficaces, au moins dans certains cas ?

S’il n’y a pas de conditions suffisantes, il y aurait toutefois des conditions nécessaires, du moins favorables, à l’exercice de l’esprit critique. Outre les notions que nous avons déjà évoquées (éducation aux médias, à l’argumentation…), les trois axes suivants (retrouvés par exemple dans le rapport de Pasquinelli et collaborateurs, se référant notamment aux travaux de Deanna Kuhn cités précédemment) semblent intéressants.

1. Prendre conscience de nos processus mentaux, et en particulier de notre ignorance.

Pourquoi est-ce que je tiens pour acquis ce que je tiens pour acquis ? Quels arguments m’ont fait adopter cette idée ? Quelles limites à ce raisonnement ? Quelles incertitudes demeurent ? Avoir à l’esprit ces questions (et l’envie de se les poser) fait partie de ce qui est appelé la métacognition, c’est-à-dire la cognition sur la cognition, ou penser sur ses propres pensées. Plus ces questions trouvent des réponses adéquates, plus nous progressons vers un jugement éclairé sur un problème donné.

2.  Prendre conscience de notre rapport à la connaissance, comprendre la nature des sciences et leur fonctionnement.

Sur notre rapport à la connaissance, Deanna Kuhn distingue les trois postures suivantes.

- Je pense que les connaissances sont certaines. Les sciences permettent d’accéder à la vérité. Si deux idées s’opposent, seule l’une des deux est vraie.

- Je pense que les connaissances ne sont jamais certaines. Tout est question d’opinion, il existe plusieurs vérités qui dépendent du point de vue (voire la vérité n’existe pas). Si deux idées s’opposent, c’est qu’il y a deux points de vue, qui ont le droit de s’exprimer.

- Je pense que les connaissances sont incertaines, elles peuvent toujours être remises en cause, mais certaines ont plus de valeur que d’autres. La démarche scientifique permet d’accéder au plus haut degré de confiance. Si deux idées s’opposent, on peut évaluer laquelle est la plus légitime, au regard des arguments avancés.

La troisième posture semble plus favorable à l’exercice de l’esprit critique.

Sources (en anglais) :
Kuhn, D., Cheney, R. & Weinstock, M. (2000). The development of epistemological understanding. Cognitive development, 15(3).

www.researchgate.net/publication/223690842_The_Development_of_Epistemological_Understanding
 

Par ailleurs, être familiarisé avec les méthodes scientifiques, les différences entre hypothèse, théorie et modèle, en bref comment les savoirs scientifiques se construisent, doit pouvoir aider à se positionner rationnellement sur un sujet donné.

Plus spécifiquement, il semble fondamental d’avoir à l’esprit la distinction entre :

- les observations, sur lesquelles nous devons nous mettre d’accord (par exemple « comment le nucléaire fonctionne ») ;

- les interprétations (dans cet exemple, « quels modèles décrivent correctement le fonctionnement du nucléaire »), qui peuvent être débattues et évaluées. Elles doivent rendre compte des observations. L’idéal est de converger, de manière commune, vers la meilleure interprétation possible ;

- et les prescriptions (« doit-on utiliser le nucléaire ? »), qui sortent du champ purement scientifique.

Le consensus scientifique sur un sujet donné, s’il existe, ne tire pas sa force du nombre de personnes qui y adhèrent, mais de la méthode utilisée. On peut lui accorder sa confiance pour cette raison, tout en sachant qu’il peut être amené à évoluer.

3.  Multiplier les exemples
Bien évidemment, avoir exercé une fois une capacité liée à l’esprit critique ne garantit pas de pouvoir le faire systématiquement. Par exemple, avoir reconnu un biais cognitif ne garantit pas que l’on a bien développé sa vigilance à tous égards. Avoir évalué correctement la qualité d’une source d’information ne permet pas de réitérer le processus avec succès sur un sujet totalement inconnu. Avoir fait preuve de logique pour résoudre un problème n’assure pas que l’on réussisse dans une autre circonstance.

La multiplication des exemples, en alternant des cas concrets et abstraits, met en relief la structure profonde d’un problème et peut amener plus facilement à le reconnaître dans un contexte inédit.

Sources (en anglais) :
Willingham, D. T. (2007). Critical thinking: Why is it so hard to teach? American federation of teachers.

https://www.aft.org/sites/default/files/periodicals/Crit_Thinking.pdf
 

L’ensemble de ces trois axes dresse un cadre qui peut guider une éducation à l’EC. Il fournit une perspective qui aide à mieux comprendre comment les idées naissent et meurent, comment les énoncés scientifiques sont produits et validés, en bref comment la découverte s’effectue. On retrouve là un discours évoquant celui qui anime le Palais de la découverte depuis sa fondation.

S’inscrivant dans cette perspective, un dispositif de l’exposition propose une collection d’idées et illustre comment elles sont nées, puis ont été dépassées. Il se base sur un effet de répétition et une narration qui présente des éléments de méthode sur la construction et la validation des idées.

Voici les sources de ces idées :

Le magma vient du cœur de la Terre ?
https://planet-terre.ens-lyon.fr/article/modeles-interieur-terre.xml

Dans le lavabo, l’eau tourbillonne en sens contraire dans les hémisphères nord et sud ?
https://planet-terre.ens-lyon.fr/article/modelisation-coriolis.xml#lavabo

Les météorites arrivent brûlantes au sol ?http://web.archive.org/web/20030422040609/http://www.home.earthlink.net/~machiz/FAQs/hot_meteorites.htm

Les épinards sont riches en fer ?
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4232290/

Nous n’utilisons que 10 % de notre cerveau ?
https://www.scientificamerican.com/article/do-we-really-use-only-10/

Les poissons rouges ont la mémoire courte ?
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21366576

Une cuillère dans le champagne conserve les bulles ?
https://next.liberation.fr/vous/1995/02/04/fin-d-un-mythe-la-petite-cuillere-ne-retient-pas-les-bulles-du-champagne_124622

Les continents engloutis ?
http://earthref.org/ERDA/download:288/

La génération spontanée ?
http://www.aim.univ-paris7.fr/enseig/exobiologie_PDF/Biblio/Brack1.htm

Les 4 éléments ?
https://www.persee.fr/issue/rhs_0151-4105_1996_num_49_2

La planète Vulcain ?
https://aapt.scitation.org/doi/full/10.1119/1.4968558

L’éther ?
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k48088355.texteImage

 

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