Étincelles et feux follets (S2E1)
Personnages :
- Florence, la journaliste : Stéphanie Cassignard
- Myriam, la fille de la journaliste : Myriam Doumenq
- Lui (Frédéric, l’Esprit de l’art) : Frédéric Kneip
- Elle (Delphine, l’Esprit de la science) : Delphine Gleize
- Médiateur scientifique en physique : Emmanuel Sidot
Les esprits du Palais
Un feuilleton radiophonique entre ombre et lumière aux Étincelles du Palais de la découverte
Épisode 1 : Étincelles et feux follets
Scène 1 : Chez Florence
Myriam : Tiens, maman, t’es là ?
Florence : Oui, j'suis rentrée plus tôt… Je n’ai pas écouté la dernière table ronde, j'étais trop fatiguée ! Et toi, ma chérie, ta rentrée au lycée, ça a été ?
Myriam : Ça va, j’aime bien ma classe. Je me retrouve avec cinq filles qui étaient avec moi l’année dernière, donc c'est trop bien ! Et sinon, la prof de physique nous a parlé d’un truc qui s’est passé hier, dans le 15e, dans les locaux du musée, là, sur lequel tu prépares ton reportage…
Florence : Le Palais de la découverte ?
Myriam : Ouais, d’ailleurs je te rappelle que tu devais m’y emmener avant que les travaux commencent, et que j’attends toujours.
Florence : Pour le Palais de la découverte, il va falloir que tu patientes encore un peu : il est en pleine restauration. Mais tu veux parler des Étincelles ? Le lieu où le Palais continue durant les grands travaux ?
Myriam : Ben, t’as pas vu, sur Instagram ? C’est la folie, toutes les images qui circulent depuis ce matin !
Florence : Mon portable était éteint toute la journée… J’ai bien vu que j’avais pas mal de messages mais je ne les ai pas consultés… [Consultant son écran.] Ah oui, tiens d’ailleurs, j’ai un message de Marie, la médiatrice scientifique que j’ai interviewée là-bas, un message de ma rédac’ chef…
Myriam : Non mais j'te jure, t’as raté un truc [scrollant sur Instagram] !… Tiens, regarde ! C’est ça, là… C’était la nuit dernière. Des gens qui passaient ont vu des lumières multicolores s’élever du sol, là…et là… Tu l'as vue celle-là ? Y’en a qui disent que c’était des feux follets…
Florence [riant] : N’importe quoi ! Tu sais, des feux follets, on n’en voit presque plus aujourd’hui : c’était surtout avant, avant le XIXe siècle, qu’on les observait près des marais et des cimetières…
Myriam : Bah justement, tu m’as pas raconté qu’il y avait un cimetière juste à côté ?
Florence : Non mais ça n’a rien à voir, ce genre de cimetière n’est pas du tout propice à l’apparition de feux follets. Ce qui est à l'origine du phénomène, c'est la décomposition organique, la pourriture. Ça produit la phosphine, le diphosphate et le méthane et c'est ça qui provoque le phénomène. Aujourd’hui, avec l’assainissement des marais et des cimetières, il se font de plus en plus…
Myriam [l’interrompant, toujours sur ses photos] : Et celle-là… Regarde ! Et là, t’as vu ?… C’est beau hein ?
Florence : C’est vrai que c’est étrange, ces lumières. Et joli, aussi ! Là, tu vois l’espèce de rayon jaune, bizarre ? Et c'est vrai que sur celle-là, le vert, ça peut laisser imaginer un feu-follet.
Myriam : T'en as déjà vus, toi ?
Florence : Non, j’ai traité la question mais sans en avoir jamais vus. Comme je te le disais, c’est de plus en plus rare. Par contre, j’ai VRAIMENT vu des lucioles et ça m’avait fasciné… Bref, allez, maintenant il faut vraiment que je lise tous mes messages et que je m'attèle à mon enquête !
Scène 2 : Les Esprits aux Étincelles
Delphine : Bienvenue aux Étincelles, mon cher Fred !
Fred [sursautant] : Ah Delphine ! Tiens, tu es là aussi, toi ?
Delphine : Comme on se retrouve ! Moi aussi j’ai entendu parler de cette histoire de feux follets, la nuit dernière, je n’allais quand même pas rater ça… J’étais sûre de te trouver là, à vrai dire.
Fred : Oui. Tu as vu, à la pause déjeuner, sur le chantier ? Les ouvriers n’arrêtaient pas d’en parler, et de se passer leurs téléphones ! J’ai accouru tout de suite. C’est magique en photo, ces feux follets !
Delphine : Eh bien non, justement, ça ne peut pas être des feux follets. Impossible !
Fred : Ah oui ? « Impossible », madame l'Esprit des sciences ? Vous êtes bien catégorique !
Delphine : Exactement, monsieur l'Esprit de l'art... Aucune probabilité pour que cela se produise ici, dans le 15e arrondissement de Paris.
Fred : Non mais je sais, je te faisais marcher ! J’ai cru comprendre que l'équipe de médiation était déjà sur une piste sérieuse…
Delphine : Ah oui, c’est vrai ? Raconte !
Fred : Opff [blasé] ! Si j’ai bien compris, il s’agirait d’un banal phénomène d’induction électromagnétique. J’ai assisté à la démonstration plus d’une fois au Palais de la découverte.
Delphine : Enfin, Fred, sois plus précis ! Un phénomène provoqué par quoi ? Par qui ?
Fred : Eh bien, les caméras de surveillance – qui perçoivent des choses que même nous, Esprits, ne pouvons pas voir – ont tout filmé… J’étais là [sur un ton mystérieux]… J’ai vu cette silhouette qui venait disposer de petits tabourets, surmontés d’un drôle d'objet tout autour des Étincelles, sous un banc ou dans un plantoir…
Delphine [l’interrompant] : Eh dis donc, regarde ! Ce n'est pas cette femme, là, dans le hall derrière le garçon avec le sweat vert flashy ?
Fred : Quelle femme ?
Delphine : Elle ! Cette femme qui posait des questions à tout le monde, là, dans notre Palais de la découverte, juste avant la fermeture pour travaux…
Fred : Tu as raison ! On dirait bien que c’est elle…
Delphine : Elle se dirige directement à l’accueil… et c'est Emmanuel, le médiateur en physique, qui vient vers elle.
[On quitte les Esprits]
Le physicien (médiateur scientifique) : Bonjour Florence, ça va ?
Florence : Oui. Et vous, Emmanuel ? C’est intrigant, dites donc, ce qui s’est passé la nuit dernière…
Fred [à Delphine] : Quel bruit ça a fait, sur leurs « réseaux sociaux », ces feux follets ! Enfin, « bruit », c’est une façon de parler. Aujourd’hui, on dit « buzz ».
Delphine [chuchotant, comme pour ne pas se faire repérer] : J'te dis que ça ne pouvait pas être des feux follets ! En tout cas, je suis bien curieuse de comprendre comment ils sont parvenus à cette hypothèse, ici…
Scène 3 : Entretien avec Emmanuel Sidot, médiateur scientifique en sciences physiques
Le physicien (médiateur scientifique) [présente l’expérience d’induction électro-magnétique] : ... Ça donne électricité... À partir de là, dans ce circuit-là, dans le socle, j'ai du courant alternatif. Le courant, c'est de l'électricité en mouvement, donc ça fait du champ magnétique, du magnétisme. Et comme c'est du courant alternatif, qui va et vient, c'est du courant qui change, ça fait un effet magnétique qui change, un effet magnétique en mouvement, et qu'est-ce que ça donne ? Ben dans le circuit au-dessus...
Florence [une fois l’expérience terminée] : Donc, si je comprends bien, ce qu’on a pris pour des feux follets, ce sont en fait des petits chandeliers allumés à distance au moyen d’une télécommande ?!?
Le physicien : C’est l’hypothèse la plus probable, en tout cas. Les lumières, c'est des lampes électriques, et ça s'élève à cause du phénomène d'induction électro-magnétique. Tu modules le courant et tu changes l'élévation du truc et ça donne cet aspect flottant. Maintenant, oui, bien sûr, comme n'importe quel appareil électrique, tu peux le télécommander à distance. Un smartphone, un peu d'électronique et c'est joué.
Florence : Ça ne peut pas être un procédé chimique plutôt ?
Le physicien : Ben, on s’est beaucoup concertés, depuis ce matin, avec les collègues, de chimie et de bio. Ça pourrait être un phénomène chimique. Il y a plein de réactions luminescentes. Tu mélanges deux produits, deux composants et – paf ! – ça fait de la chimiluminescence. T'as des trucs fluos, qui réagiraient à de la lumière extérieure, t'as des trucs phosphorescents, pareil ! T'as mille sortes de luminescences mais ... il faudrait injecter des produits... ou alors avoir une source de lumière extérieure... Tu vois... Tout cela est un peu lourd. Et puis, surtout, ça n'expliquerait pas pourquoi ça monte et ça descend comme ça le fait. Et pour l'instant, là ça c'est de la physique, c'est plutôt le phénomène que je t'ai montré. Or ce phénomène-là, il génère du courant capable d'allumer les ampoules. Donc, oui, ça pourrait être autre chose, ça pourrait être ça. Mais on est relativement d'accord, là, les collègues et moi, que ce que j'ai, c'est plus simple. Et la personne qui a fait ça, elle s'y connaît, elle bidouille bien. Elle a dû faire intelligemment simple...
Florence : Vous avez recueilli des indices ?
Le physicien : On ne voit pas grand-chose sur les images de vidéosurveillance, on ne voit rien même. Par contre, si on recoupe avec les images et les vidéos retrouvées sur le net, alors là, moi il me semble que c'est assez clair : la façon dont ça monte et ça descend, parfaitement à la verticale, dont des groupes de lumières restent sur le même plan. Tu vois, là ? On dirait presque une forme géométrique ! Moi j'aurais tendance à dire que c'est sur un cercle, que ce sont des lampes sur un cercle. Et puis, elles s'allument d'un coup. Du coup, moi je pense que c'est des LEDs, contrairement à mes lampes à incandescence. Et surtout, c'est quand elles montent, qu'elles s'éteignent avant de réapparaître juste en dessous. On est bien d'accord que c'est grosso modo le genre de mouvement que je t'ai montré. Et puis il y a le bruit ! Tu sais, les deux témoins, ils nous ont parlé d'un espèce de sifflement strident. En un peu plus aigu, c'est celui que je t'ai donné. Alors je ne te dis pas que c'est ça, mais c'est ce qui a de plus probable.
Florence : Dites-moi, qu’est-ce qu’on entend exactement par « luminescence » ?
Le physicien : La luminescence ? Dans un atome, t'as un noyau au centre, protons, neutrons, et puis des électrons qui tournent autour. Et, à chaque fois qu'on envoie de l'énergie, qu'on fait un truc à ces électrons, ils peuvent sauter sur une orbite plus lointaine. Voyez, comme les orbites des planètes. Et, à un moment, l'électron qui a été « excité », c'est le mot consacré, va redescendre à son orbite d'origine. Donc il va rendre de l'énergie. On lui a donné de l'énergie, il est monté. Hop ! Il redescend, il en rend. Et il en rend, en général, s'il y en a assez, sous forme de lumière. C'est ça le phénomène général de luminescence. Et grosso modo, toutes les sources de lumière marchent sur ce principe fondamental. Il y en a tout un catalogue, en fonction de, typiquement, la façon dont on va exciter, donner de l'énergie à ces électrons. Ça peut être une autre source de lumière, c'est la fluorescence, c'est la phosphorescence, à des détails près. Avec des électrons, c'est la cathodoluminescence, l'électroluminescence des LEDs. Et il y en a une foule de façons de donner de l'énergie à ces électrons. Il y a toutes ces sortes de luminescence. Et, au-delà de ça, toutes ces variétés, c'est plutôt un truc de chimiste.
Florence : Attendez… Je repense à notre expérience. Si je vous suis bien, il est nécessaire d’avoir un générateur placé sous le chandelier…
Le physicien : Carrément, il faut un générateur... Et même un plutôt costaud ! Ça demande de la puissance ces trucs-là.
Florence : Or, sur les images, on voit bien que les lumières sont à 20 ou 30 centimètres du sol… Mais on ne voit pas la silhouette déterrer quoi que ce soit, n’est-ce pas ? Est-ce que vous êtes allés fouiller dans le sol aux endroits où la silhouette a placé les chandeliers ?
Le physicien : Alors, on s'est baladé ce matin, on a regardé vite fait. Et c'est vrai que, vu la taille du générateur, il faut qu'il soit caché quelque part…
Scène 4 : Chez la journaliste
Florence [finissant une conversation avec Myriam qui a débuté en notre absence] : … Et donc, dans le plantoir et sous le banc, enterrés dans le sol, on a bien retrouvé de petits générateurs aux emplacements où la silhouette avait installé les chandeliers… Les autres endroits étaient hors champ, on n’a pas pu les localiser avec précision…
Myriam : Et sur les images de vidéosurveillance, on voit les lumières, donc ?
Florence : Oui. Bien que les images soient en noir et blanc. Quelques minutes après que la silhouette est sortie du champ, on aperçoit clairement des lueurs, qui semblent flotter dans les airs, exactement sur les lieux en question… Le phénomène s’est produit trois ou quatre fois en une heure et après, pfuitt. La même silhouette revient – impossible de distinguer son visage, elle portait un masque et une capuche – et hop, hop, en quelques minutes, elle remballe le matériel et emporte le tout hors du champ de vision des caméras.
Myriam : C'est une dinguerie quand même, ce truc ! Et elle a commandé tous ces phénomènes à distance ?
Florence : Au moyen d’un ordinateur vraisemblablement, oui.
Myriam : Du coup on n’a aucune trace, aucun indice ?
Florence : Non, à part ces deux générateurs qu’on a retrouvés dans le sol…
Myriam : C’est bizarre qu’elle les ait laissés, d’ailleurs, non ? Ça colle pas trop avec la précision du reste de l’opération, tu trouves pas ?
Florence : Je suis carrément d'accord avec toi. Mais bon, peut-être qu’elle a été empêchée de tous les déterrer, qu’elle a été surprise par quelqu’un ? On n’a recueilli aucun témoignage là-dessus. Quoi qu'il en soit, ça corrobore l’hypothèse de l’induction électromagnétique. L’équipe des Étincelles avait vu juste ! En tout cas, tu vois qu’on est bien loin de tous les commentaires farfelus qui ont envahi les réseaux… Et pourtant, on n'a toujours pas plus de mobile.
Myriam : T'as plus d'excuses, tu vas être obligée de m'emmener aux Étincelles pour que je puisse mieux comprendre tout ça !
Florence : C’est vrai que je vais devoir y aller pas mal ces jours-ci. Comme je le craignais, on m’a fait comprendre que ce serait bien de pouvoir avancer la date de diffusion de mon enquête…
Fin de l’épisode 1.
Que s’est-il passé la nuit dernière aux abords des Étincelles du Palais de la découverte ? Les réseaux s’emballent, des photos circulent, les rumeurs vont bon train… Alertée, Florence, la journaliste qui enquête sur le Palais, décide de se rendre sur place.
De leur côté, les Esprits font le point sur cet étrange phénomène lumineux et observent. Il semblerait que l’équipe de médiation scientifique ait déjà une explication sérieuse et soit en capacité de reconstituer le procédé…