Émilie, Sophie, Lise et les autres (S2E3)
Personnages :
- Akimou (l’Esprit critique) : Pascal Nzonzi
- Florence, la journaliste : Stéphanie Cassignard
- Myriam, la fille de la journaliste : Myriam Doumenq
- Lui (Frédéric, l’Esprit de l’art) : Frédéric Kneip
- Elle (Delphine, l’Esprit de la science) : Delphine Gleize
- Médiateur scientifique (chimie) : Ludovic Fournier
Les esprits du Palais
Un feuilleton radiophonique entre ombre et lumière aux Étincelles du Palais de la découverte
Épisode 3 : Émilie, Sophie, Lise et les autres
Prologue
Florence : Il est vraiment étonnant, cet Akimou. Mais je me demande bien pourquoi il voulait que je vienne dès ce matin aux Étincelles : qu’est-ce qui a encore bien pu se passer là-bas, hier ? Après l’affaire des feux follets le mois dernier ? Et tout ça, à la date de la Journée Ada-Lovelace…
Scène 1 : Aux Étincelles
Akimou : Bonjour Florence.
Florence : Bonjour, Akimou.
Akimou : Quelle histoire ! J’ai voulu vous en informer immédiatement, parce que…
Florence : Qu’est-ce qui s’est passé ?
Akimou : Eh bien, figurez-vous qu’hier, lors du premier exposé de la journée, dès que la salle a été plongée dans l’obscurité, on a vu apparaître un graffiti sur le mur, une inscription indéchiffrable qui luisait dans l’obscurité… Le phénomène s’est produit dans trois salles distinctes, avec un graffiti différent, à chaque fois.
Florence : Un graffiti ?!
Akimou : Oui, un graffiti ! Un tag, quoi. Mais venez, je vais vous montrer. Les médiateurs ont pris des photos.
[Ils rentrent.]
Akimou : Tenez ! Regardez ! Celui-ci, c’était dans la salle de physique et informatique.
Florence [regardant)] : Pas de doute, c’est bien ce qu’on appelle un tag…
Fred : Oui, pas de doute. [À Delphine.] Regarde, Delphine, c'est un tag.
Delphine [à Fred] : Je sais bien, Fred, ça fait suffisamment longtemps qu’on traîne ensemble pour que je sois un peu au courant des derniers développements de la scène artistique… Mais ça signifie quoi ?
Akimou : Tenez ! Celui-ci, c’était dans la salle de chimie et géosciences. Et celui-là, le dernier, dans la salle de biologie et mathématiques. Ils sont tous les trois de la même couleur. Et, selon toute vraisemblance, de la même main.
Florence : C’est vraiment étrange… C’est illisible ! Et les médiateurs et les visiteurs qui étaient là, comment ont-ils réagi ? Ça a dû les surprendre !
Akimou : Vous pensez bien ! Les médiatrices et les médiateurs ont été pour le moins interloqués… Ils ont dû garder tout leur sang-froid pour expliquer au public, tout aussi surpris de découvrir cette inscription luisante au plafond et au mur, qu’il s’agissait d’une commande artistique… ou alors du résidu d’une série d’essais que les équipes du Palais avaient menés sur la luminescence…
Florence [réfléchissant] : La luminescence… Mais qui a tracé ces graffitis ? Et surtout, quand ? Les équipes qui ont fermé les salles hier n’ont rien remarqué ?
Akimou : Pas que je sache, non.
Florence : Cela signifierait que quelqu’un s’est introduit de nuit dans les Étincelles ? C’est possible, ça ?
Akimou : Hum... Cela me paraît très peu probable…
[Les Esprits concluent la scène.]
Fred : Dis donc, après les feux-follets-qui-n’en-sont-pas, des inscriptions mystérieuses… carrément fantomatiques. Moi, tout cela me rappelle l’époque de la vogue du spiritisme.
Delphine : Qu’est-ce que tu racontes ?
Fred : Tu n’as pas connu ça, toi ! Tu n’étais pas encore née : c’était à la toute fin du XIXe siècle… Tout le monde se mettait à faire tourner les tables pour entrer en contact avec les esprits, à essayer de photographier des ectoplasmes plus ou moins convaincants… Les scientifiques les plus sérieux s’y sont intéressés…
Delphine : Oui, tu m’as déjà raconté. Camille Flammarion, Pierre et Marie Curie qui participaient au « groupe d'étude sur les phénomènes psychiques »…
Fred : Tu te rends compte. Ces scientifiques ont tous été passionnés par le phénomène… Et même s’ils ont permis de démonter pas mal d’impostures, pas un n’a réussi à démontrer formellement que cela n’existait pas ! Même Marie Curie, désemparée après la mort de Pierre, a longtemps essayé d’entrer en contact psychique avec lui… Il régnait une atmosphère un peu… brrrr… spectrale en ce temps-là…
Scène 2 : Florence et le médiateur scientifique en chimie, Ludovic Fournier
Florence : Et donc, c’est de la peinture fluorescente qui a servi à tracer ces graffitis ?
Médiateur scientifique : Vu que les graffitis brillaient alors qu'il n'y avait plus aucune source de rayonnement extérieur, je pencherais plutôt pour de la phosphorescence.
Florence : Ce n'est pas pareil ?
Médiateur scientifique : Même si on confond souvent les deux, ce n'est pas tout à fait le même phénomène. Si on commence par le point commun, disons qu'une matière fluorescente, comme une matière phosphorescente, les deux sont capables d'émettre un rayonnement électromagnétique après en avoir absorbé un. Par exemple, aux Étincelles, on montre des objets qui sont capables de produire un rayonnement visible après avoir absorbé des rayonnements ultraviolets. Pour expliquer la différence entre les deux, cette fois-ci, il faudrait faire un petit peu de théorie. C'est un peu plus compliqué. Peut-être que je peux me permettre un raccourci ?
Florence : Oui, oui, sans problème.
Médiateur scientifique : Disons que dans une majorité des cas, les matières fluorescentes vont s'arrêter de briller lorsqu'elles ne sont plus stimulées, alors que les matières phosphorescentes vont continuer de briller encore un certain temps, même quand on cesse la stimulation. Bon, ça reste une première approximation expérimentale. Si on voulait vraiment être rigoureux, il faudrait faire un petit peu plus de théorie, mais disons que c'est une bonne première approche. Et pour en revenir au graffiti, je pense qu'ils ont été faits avec de la peinture phosphorescente. Ils ont en quelque sorte absorbé la lumière pendant que tout était allumé et ils ont continué de briller. Et quand on s'est mis dans le noir, cette brillance devenait visible.
Florence : Un peu comme les petites étoiles qu'on met au plafond des chambres d'enfant et qui continuent de briller une fois dans le noir ?
Médiateur scientifique : Oui, tout à fait. Et d'ailleurs, même pour la petite anecdote, l'un des premiers à avoir fait la distinction théorique entre la fluorescence et la phosphorescence, c'était Francis Perrin. Francis Perrin, qui est le fils de Jean Perrin. Et Jean Perrin, c'est l'un des pères fondateurs du Palais de la découverte en 1937.
Scène 3 : Le soir même, chez la mère et la fille
Myriam : Alors maman, il s’est passé quoi, aux Étincelles ?
Florence : Des inscriptions… Des tags luminescents qui se sont mis soudain à briller quand on a plongé la salle dans le noir… Ça s’est produit trois fois hier.
Myriam : Des tags ? Ils étaient grands comment ?
Florence : Oh, au premier abord, c’était comme des signes graphiques quelconques au format portrait, d’une cinquantaine de centimètres de haut, je dirais… Comme des enluminures. Regarde, j’ai des photos.
Myriam : Mais c’est absurde…
Florence : Regarde. Là, c’est dans la salle 2, de physique et informatique ; et là, dans la salle 1, de chimie et géosciences…
Myriam : Attends, moins vite… Tu peux repasser celle d’avant ? Ce ne sont pas des lettres, là ?!
Florence : Absolument. Au début on pensait que ça n’avait aucun sens. Puis un visiteur sur place que j’ai interrogé, qui s’y connaît un peu en graff et qui a l’œil, nous a expliqué qu’en réalité il s’agissait de lettres enchevêtrées, emmêlées les unes sur les autres, de façon un peu désordonnée. Ça m’a surprise. Je n’avais pas fait le rapprochement. Partant de cette information, j’ai réussi tout à l’heure à déchiffrer et lister toutes les lettres, et j’ai pu reconstituer... des prénoms ! Là, regarde par exemple… E… M… I… L… On a ÉMILIE !
Myriam : Ah ouais ! Et l’autre, on dirait qu’il y a un S… un O… un…
Florence : … P, H, I, E… SOPHIE ! Et le troisième... c’est LISE !
Myriam : Ce sont des prénoms de médiatrices ?
Florence : C’est ce que je pensais instinctivement aussi, mais c’est sûrement autre chose. Il y a forcément un lien entre ces prénoms féminins et le Palais de la découverte, mais difficile à dire, à ce stade.
Myriam : Attends, j’essaye de regarder sur ChatGPT s’il peut nous aider.
Florence : Ah ?! Tu utilises ChatGPT toi ?
Myriam : Non mais maman, c’est carrément tout le monde qui l’utilise au lycée hein ! C’est trop bien, on lui pose plein de questions et il arrive souvent à nous donner les bonnes réponses pour nos exercices.
Florence : Encore un outil qu’il serait bon de limiter : il est censé servir d’aide, pas à remplacer ta réflexion ni ton cerveau de jeune étudiante !
Myriam [tapant dans ChatGPT] : Alors « Émilie, Sophie, Lise et Palais de la découverte à Paris 8e arrondissement, y a-t-il un lien ? »
Voix ChatGPT : « […] Émilie, Sophie et Lise pourraient être des noms de personnes qui ont visité ou travaillé au Palais de la découverte. Cependant, sans plus de contexte, il est difficile de dire quel est exactement ce lien. »
Myriam [lisant à voix haute] : « Le Palais de la découverte est un musée scientifique situé dans le 8e arrondissement de Paris », blablabla…
Florence : Pas très convaincant, il te présente surtout le Palais de la découverte. Tu devrais... être plus précise... et rajouter les mots... « femmes » et « science » dans ta recherche, pour orienter davantage le résultat.
Myriam [tapant dans ChatGPT] : Alors « Émilie, Sophie, Lise, femmes et science, y a-t-il un lien ? »
Voix ChatGPT : « Oui, Émilie, Sophie et Lise peuvent être considérées comme des femmes dans le contexte de la science. Il est important de souligner que les femmes ont apporté des contributions significatives à la science tout au long de l'histoire, bien que leurs réalisations aient parfois été négligées ou minimisées… »
Myriam : Ah bon ?! Je ne savais pas que les femmes scientifiques étaient zappées de l’histoire à ce point, c’est carrément injuste !
Florence : Attends une minute !… j’ai un doute. J’appelle Marie. Tu sais la responsable des projets de médiation du Palais. Je voudrais m’assurer que les prénoms ne sont pas ceux de médiatrices au sein de leur équipe et j'reviens !! Occupe-toi du dîner s’il te plaît, j’arrive.
Myriam : Heu… d’accord.
Florence [revenant après avoir téléphoné] : Mmm, miam, miam, dis donc, ça sent bon ! [Sur un ton triomphant] Émilie du Châtelet, Sophie Germain et Lise Meitner !
Myriam [interloquée] : Heu, c’est qui, elles ?
Florence : Ce sont exactement les noms que m’ont donnés Marie et sa collègue au téléphone. Je lui ai parlé de la liste des trois prénoms que j’ai réussi à décrypter, et il ne leur a même pas fallu cinq secondes pour faire le lien entre ces trois femmes : ce ne sont effectivement pas des prénoms de médiatrices, elle me l’a confirmé, mais ce sont en revanche toutes les trois des scientifiques remarquables, connues et reconnues dans le milieu, auxquelles le Palais de la découverte a d’ailleurs déjà consacré plusieurs événements. Les femmes scientifiques, c’est un sujet souvent évoqué dans les exposés ! Ce sont les réponses de ChatGPT qui m’ont fait tilt !
Myriam : Ah, tu vois !
Florence : Oui, mais c’est aussi un peu grâce à toi Myriam, parce que la pertinence des réponses dépend directement de la qualité des questions. Et si elles sont formulées clairement et bien contextualisées... Bon, au final, il faudra quand même toujours les vérifier.
Myriam : Incroyable, maman ! Mais tu penses qu’elle s’y est prise comment, la personne qui a fait les graffitis ?
Florence : Je ne sais pas. Elle a pu se faufiler à un moment... Ou, entre deux exposés, il arrive que les médiateurs s’éclipsent de la salle… Mais il aurait fallu aller sacrément vite… et avoir le geste sacrément précis… et avoir pas mal de bol !
Myriam : Ou alors, elle a fait ça de nuit ?
Florence : Pas possible. Les caméras de surveillance l’auraient captée, ou alors il aurait fallu que la personne en question se fasse enfermer dans le bâtiment… En tout cas, deux phénomènes mystérieux qui se produisent en deux mois au même endroit, sans explication, c’est bizarre.
Fin de l’épisode 3.
Que signifient les mystérieux graffitis apparus dans le noir des salles du Palais ? Car cette fois, ce sont des graffitis qui sont apparus dans les salles de médiation et sous la voûte du Planétarium, alors qu’ils étaient plongés dans le noir ! Quelle stupéfaction !
Phosphorescence, luminescence, fluorescence ? Ludovic, médiateur en chimie, pourra sans aucun doute éclairer Florence.
Sous les graffitis, Florence, aidée de sa fille Myriam, discerne des lettres, puis déchiffre des prénoms féminins… Forte de sa découverte, elle recontacte immédiatement l’équipe de médiation. Mais qui sont ces femmes ? Et quel rapport avec la science ?