Dans Les grands espaces, le temps est celui de l’enfance à la campagne, bercée par le silence, l’observation du vivant et la littérature. Et si chaque petit mouvement de la trotteuse était dicté par l’éclosion d’une fleur ? Et si les heures étaient des saisons ? Et les minutes, des naissances de chevreaux ?  

Découvrez deux extraits du texte de Les grands espaces 

Premier extrait

Narratrice : Il faisait moite, ça sentait le sang chaud, l'ail et le persil. C'était comme habiter le ventre encore tiède de l'animal. Tuer le cochon rendait vivante toute une maisonnée (bruit de cri du cochon)  

Catherine : Je le range tout le pâté à côté du bocal à cornichons ?   

Sœur : Ah non, c'est le doigt de papy. C'est quand il a mis ses mains dans une moissonneuse batteuse. On n'a jamais su où l'enterrer. Alors on le laisse sur l'étagère.  

Narratrice : La mort à la campagne, on s'y habitue. La vie est beaucoup plus surprenante.  

Sœur : (bêlement de chèvres) Oh !  

Catherine : Tu crois que la chèvre va bouffer son petit ?  

Sœur : Non, non, c'est son placenta qu'elle mange. Tiens, prends le chevreau.  

Catherine : Aïe ! C'est tout chaud.  

Soeur : T'es baptisée.  

Vieux monsieur : Tant qu'on chie, on vit !   

Narratrice : Les chèvres, les vaches, les poules, renards, fouines chouettes étaient bien vivants. Il y avait les merdes fraîches et les merdes sèches. Les jeunes merdes et les merdes séculaires. J'en avais même fait un musée !  

Voix d'enfants : Crotte de cheval. XIXᵉ siècle. Crotte de renard. XXᵉ siècle. Crotte de chèvre. 1954 Vache. Vᵉ siècle avant Jésus-Christ.  

Catherine : Qui c'est celui qui chie toujours sur une pierre ?  

Sœur : Le renard pour marquer son territoire. 

Maman : Vous devriez ouvrir un musée végétal plutôt qu'un musée de la bouse. Créer un jardin planté. Sauvegarder les espèces.  

Sœur : Bof. Je préfère bouquiner à l'ombre.  

Catherine : À l'ombre de quel arbre ? Il n'y a rien.  

Maman : Patience. Dans quelques années, on aura un parc superbe, comme au château de Versailles.  

 

Deuxième extrait

Mes parents plantèrent tout ce qu'ils purent planter. La pierre se découvrit un nouvel ami : la verdure. Sur cette terre qu'aucun de nos aïeux n'avait habitée, notre histoire prit racine. Les plantations se classaient en différentes catégories. Les familiales tout d'abord. 

Père : Ahhh...Les ancolies ! C'est un souvenir de ma grand-mère. Dans leurs pétales, je revois le velours de sa robe « début de siècle » qu'elle portait encore dans les années 60. 

Maman : Et ce rosier m'a été donné par mon père qui le tenait de sa mère. C'est une espèce très ancienne, très odorante, le centifolia. Les Grecs la connaissaient déjà. Tu te rends compte ? Des gens dans l'Antiquité ont senti ce parfum. Ça me bouleverse.  

Narratrice : Le mot le plus souvent prononcé à la maison était probablement le mot bouture. 

Père : Voici le fils du hêtre pourpre de mon enfance. J'en avais fait une bouture. 

Maman : Et voilà le rejeton du cèdre de ma jeunesse. C'est une bouture qui a bien pris. 

Narratrice : Autre catégorie végétale les calendaires. 

Maman : Le prunus est indispensable en fleurissant avant tout le monde. Il dit qu'on sort enfin de l'hiver et ça, ça me soulage. Le Caillebotte, quand elle fleurit, signifie que les vacances de Pâques approchent. C'est important les vacances, non ? 

Catherine : Caillebotte, c'est son vrai nom ? 

Maman : Mais non, on l'appelle comme ça car leurs fleurs étaient utilisées dans le caillage du lait pour faire des fromages. Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. 

Père : Ça, c'est un cognassier. Au moment de son débourrage, quand ses bourgeons éclataient, ses feuilles sortent. Et bien il sera temps de planter les patates. Et quand les perce-neiges fleurissent, c'est signe qu'il faut planter les oignons. 

Catherine : Pas besoin de post-it pour te le rappeler !!!

Père : Tous les post-it sont dans la nature ! 

Maman : La grande sauge des prés. C'est l'annonce de l'été des foins. Des cerises. Des jours qui rallongent. Tu vois ça ? C'est une bouture de rosier que j'ai faite quand on a visité la maison de Marcel Proust à Illiers-Combray. Un brin cherchant la lumière s'extrayait d'une haie d'aubépine. C'était un signe de Marcel, à coup sûr ! Dans la catégorie des plantations littéraires, Marcel n'était pas seul. 

Père : Tiens, mais tu vois, là, c'était le rosier de Montaigne. Il grimpait sur la tour qu'il avait aménagée en bibliothèque. Lors d'un déplacement professionnel en Dordogne j'en avais fait une. 

Catherine : Une bouture ? 

Père : Exactement. Une bouture. Tu te rends compte ! Montaigne l'a respiré ! Il a porté ses yeux dessus quand il a écrit ses essais ! 

Sœur : Alors ça, ça me bouleverse !!! 

Maman : Lui, c'est un figuier. 

Catherine : Qui vient d'où ? 

Maman : De chez Rabelais. Enfin, des fossés de l'abbaye de Maillezais, où Rabelais a séjourné. Dans ses écrits, il vante les figues de la région. 

Narratrice : Étymologiquement, le jardin signifie l'enclos, le paradis. Dedans, il y a l'agréable, la sécurité, le nourrissant, le spirituel, la patience. 

Elodie Touzé (Médiatrice)  
Léa Minod (Journaliste) 
Viktor Lazlo, Pauline Ziadé, Agathe & Alexandre Héraud (Lecture)
Bertrand Chaumeton (Réalisation) 
Écran sonore (Production exécutive) 

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