Les Étincelles du Palais de la découverte
La médiation scientifique
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Laure Cornu, notre médiatrice en mathématiques, nous partage la lecture d’extraits de la correspondance entre Sophie Germain et Carl Friedrich Gauss, datant de 1807, et qui a fait naître des liens aussi bien arithmétiques qu'amicaux entre ces deux mathématiciens de génie.
N.B. : Le nom d'emprunt de Sophie Germain fut Antoine-Auguste Le Blanc, et non Augustin Le Blanc, comme vous l'entendrez par erreur dans ce podcast. Merci de bien vouloir nous en excuser.
Alexandre Héraud (Voix off) Laure Cornu (Médiatrice) Léa Minod (Journaliste) Audrey Stupovski (Lectrice du texte)
Voix off : Le Palais de la Découverte présente “Sciences Lues”, un podcast pour s'immerger dans la culture scientifique de Démocrite à nos jours.
Épisode 5 : un extrait de la correspondance entre Sophie Germain et Carl Friedrich Gauss.
Léa Minod : À quelques mètres du parc André-Citroën, dans le 15ᵉ arrondissement, d'étranges toitures colorées prennent la forme de flèches et pointent leur nez vers le ciel. C'est là, aux Étincelles, que travaillent Laure Cornu pendant la rénovation du Palais de la découverte. Ancienne médiatrice en mathématiques, Laure Cornu a longtemps transmis les secrets de l'algèbre aux petits et grands curieux qui poussaient la porte du Palais de la Découverte. Alors aujourd'hui, elle reprend son rôle. Installé dans le noir et équipé de casques Bluetooth, le public tend l'oreille aux mots échangés entre Sophie Germain et Carl Friedrich Gauss. Sur scène, la comédienne Audrey Stupovski s'empare du texte, tandis que notre réalisateur plonge le public dans un environnement sonore conçu sur mesure.Bonjour Laure Cornu.
Laure Cornu : Bonjour.
Léa Minod : Alors je vous ai un petit peu enlevé vos notes devant vous. On ne le dira pas, mais vous n'avez plus de notes. Pour cet épisode de “Sciences Lues”, vous avez choisi un extrait de la correspondance entre Sophie Germain et Carl Friedrich Gauss. Est-ce que vous pouvez nous rappeler qui ils sont tous les deux ?
Laure Cornu : Sophie Germain et Carl Friedrich Gauss sont deux mathématiciens, un mathématicien, une mathématicienne. Si Gauss est très connu c’est parce qu'on peut se souvenir de la courbe de Gauss, il a laissé derrière lui beaucoup d'apports qui sont connus et qui sont même enseignés au lycée. Sophie Germain est une grande inconnue. Je l'ai découverte très tard et elle a eu une correspondance avec Gauss autour de la théorie des nombres.
Léa Minod : Est-ce que vous pouvez me rappeler à quel siècle ils ont appartenu ?
Laure Cornu : Ils ont appartenu au XVIIIᵉ siècle… et un bon moyen mnémotechnique, c'est de se rappeler que Sophie Germain a grandi pendant la Révolution française. Elle avait 13 ans en 1789 et elle a grandi pendant la période de la terreur, enfermée dans son bel appartement parisien.
Léa Minod : Vous avez parlé de la courbe de Gauss. Qu'est-ce que c'est la “courbe de Gauss” ?
Laure Cornu : La courbe de Gauss, c'est la courbe qui monte la distribution d'un échantillon. Et c'est une courbe qui montre qu'il y a souvent beaucoup de personnes qui sont moyennes et que lorsque l'on va vers une extrémité ou vers une autre extrémité, il y a de moins en moins de personnes. Si, par exemple, je prends la taille des hommes français, je vais avoir beaucoup d'hommes qui vont avoir une taille moyenne et puis très peu d'hommes très grands et très peu d'hommes très petits. Et cette courbe, cette distribution particulière, on peut l'analyser et il y a une équation qui permet d'obtenir cette courbe que l'on retrouve en fait dans quasiment tous les phénomènes que l'on va mesurer autour de nous.
Léa Minod : Il me semble que Carl Friedrich Gauss était surnommé « le prince des mathématiciens ». Et Sophie Germain ? Est-ce que vous savez pour quels travaux en particulier elle a été célèbre ?
Laure Cornu : Sophie Germain elle a cherché pendant une partie de sa vie à prouver le théorème de Fermat et elle a démontré un théorème qui est un résultat intermédiaire vers la preuve du théorème de Fermat, qui s'appelle le théorème de Sophie Germain. Il y a des nombres premiers qui sont des nombres premiers de Sophie Germain dont on a pu entendre parler. Voilà, elle a aussi participé à l'établissement des équations qui permettent de modéliser la vibration des plaques vibrantes.
Léa Minod : Et c'est elle qui a travaillé sur l'élasticité des corps aussi ?
Laure Cornu : Oui, en fait, sur l’élasticité par exemple des plaques. Parce qu'à l'époque, elle avait répondu à un concours qui était lancé par Napoléon, qui était un fanatique de sciences et qui s'intéressait aux figures qui étaient produites par le sable lorsque l'on place du sable sur une plaque et qu'on la met en vibration. On obtient ces figures qu'on appelle les figures de Chladni. Et il était très intéressé, intrigué par ces figures donc il a lancé un concours pour que les personnes arrivent à trouver les équations qui permettaient de modéliser ces figures.
Léa Minod : Est-ce que vous vous souvenez de la première fois où vous avez découvert ce qu'elle a écrit ?
Laure Cornu : Oui, la première fois que j'ai entendu parler de Sophie Germain, j'étais en master de maths et c'était lors d'une conférence de vulgarisation. La chercheuse qui nous présentait Sophie Germain nous présentait Sophie Germain comme une femme qui a fait des mathématiques et qui a réussi à braver tous les obstacles que pouvait rencontrer une femme de cette époque-là pour faire des mathématiques.
Léa Minod : Ça vous a parlé ?
Laure Cornu : Oui, ça m'a parlé parce que c'est une histoire qui est très forte. En fait, Sophie Germain était tellement déterminée dans l'apprentissage des mathématiques qu'elle a dû aller à l'encontre du souhait de ses parents. Il faut imaginer qu'à l'époque, on avait du mal à imaginer que c'était une bonne chose pour une jeune femme de faire des maths. Peut-être même qu'il y avait des peurs autour de ça, parce qu'on imaginait que les esprits des femmes n'étaient pas capables de supporter autant d'informations. Et donc, du coup, ses parents étaient allés jusqu'à lui supprimer ses chandelles pour qu'elle ne puisse pas étudier la nuit. Et c'est en retrouvant leur très jeune fille endormie et à moitié gelée le matin, après avoir étudié toute une nuit des mathématiques qu'ils ont décidé de la laisser travailler tranquille.
Léa Minod : Est ce qu'elle s'est mariée ?
Laure Cornu : Non, elle ne s'est pas mariée et elle le doit à ses deux sœurs qui ont fait de riches mariages et qui lui ont permis de continuer à vivre sans mari. Ce qui était sacrément culotté à l'époque.
Léa Minod : Est-ce que vous aussi, vous avez dû vous battre contre vos parents pour faire des maths ?
Laure Cornu : Non, au contraire, c'était une pratique qui était même encouragée par mon père notamment, qui est scientifique aussi, et dans lequel j'ai pu me reconnaître en tant que petite fille. Donc j'ai eu un modèle qui m'a dit que c'était possible pour moi de faire des maths.
Léa Minod : Elle, elle a eu à utiliser un autre nom, c'est ça ?
Laure Cornu : Oui. Sa passion des maths l’a conduite, après avoir étudié les mathématiques « mortes » dans la bibliothèque de son père, à vouloir participer à l'élaboration de mathématiques vivantes et donc participer à des cercles de chercheurs, etc. Et elle s'est tournée, alors qu'elle avait 18 ans, vers l'École polytechnique qui venait juste d'ouvrir mais qui n'était ouverte qu'aux hommes. Et donc elle s'est inscrite sous le nom d'emprunt d’Antoine-Auguste Le Blanc. Elle a suivi un parcours comme ça. Elle avait des correspondances avec des mathématiciens sur des sujets. Et, elle signait Antoine-Auguste Le Blanc.
Léa Minod : Et c'est de ce nom-là, Antoine-Auguste Le Blanc, qu'elle signe ses lettres à Carl Friedrich Gauss, c’est ça ?
Laure Cornu : Exactement. Elle continue à avoir une correspondance mathématique cachée derrière ce pseudonyme masculin.
Léa Minod : Est-ce que pouvez nous rappeler un peu le contexte de l'écriture de cette lettre qu'on va nous lire ?
Laure Cornu : Alors oui, Sophie Germain entame une correspondance avec Carl Friedrich Gauss, à la suite de son livre sur la théorie des nombres, qui est considéré comme un domaine assez pointu à l'époque, peu étudié, bien que Gauss soit déjà un mathématicien connu de son vivant. Et ils entament une conversation, ils en sont à 3 ou 4 lettres échangées quand elle apprend que Gauss est menacé, il vit en Prusse et il y a un risque d'invasion de la ville de Brunswick. Elle a des relations militaires, son père est député au tiers état et donc elle envoie un commandant prévenir Gauss qu’il court un grand danger. Quand Gauss s'enquiert du coup de l'identité de son protecteur, le commandant Pernety, il lui dit que c'est Sophie Germain. Il ne connaît pas Sophie Germain puisqu'il communique avec Antoine-Auguste Le Blanc et donc Sophie Germain envoie un courrier pour dire qui elle est et que c'est la personne qui se cache derrière le pseudonyme de Antoine-Auguste Le Blanc.
Léa Minod : Et bien on écoute, on ferme les yeux et on se plonge dans la correspondance entre ces deux mathématiciens de génie.
Audrey Stupovski :
Sophie Germain : « En me rendant compte de l’honorable mission dont je l’avais chargé, M. Pernety m’a mandé qu’il vous avait fait connaître mon nom : cette circonstance me détermine à vous avouer que je ne vous suis pas aussi parfaitement inconnue que vous le croyez ; mais que, craignant le ridicule attaché au titre de femme savante, j’ai autrefois emprunté le nom de M. Le Blanc pour vous écrire et vous communiquer des notes qui, sans doute, ne méritaient pas l’indulgence avec laquelle vous avez bien voulu y répondre. (…) Carl Friedrich Gauss : Comment vous décrire mon admiration et mon étonnement en voyant se métamorphoser mon correspondant estimé, M. Le Blanc, en cet illustre personnage, qui donne un exemple aussi brillant de ce que j’aurais peine de croire ? (…) Le goût pour les sciences abstraites en général et surtout pour les mystères des nombres est fort rare : on ne s’en étonne pas ; les charmes enchanteurs de cette sublime science ne se décèlent dans toute leur beauté qu’à ceux qui ont le courage de l’approfondir. Mais lorsqu’une personne de ce sexe, qui, par nos mœurs et par nos préjugés, doit rencontrer infiniment plus d’obstacles et de difficultés, que les hommes, à se familiariser avec ses recherches épineuses, sait néanmoins franchir ces entraves et pénétrer ce qu’elles ont de plus caché, il faut sans doute, qu’elle ait le plus noble courage, des talents tout à fait extraordinaires, le génie supérieur. En effet rien ne pourrait me prouver d’une manière plus flatteuse et moins équivoque, que les attraits de cette science, qui ont embelli ma vie de tant de jouissances, ne sont pas chimériques, que la prédilection, dont vous l’avez honorée. Les notes savantes, dont toutes vos lettres sont si richement remplies, m’ont donné mille plaisirs. Je les ai étudiées avec attention, et j’admire la facilité avec laquelle vous avez pénétré toutes les branches de l’Arithmétique, et la sagacité avec laquelle vous les avez su généraliser et perfectionner. Je vous prie d’envisager comme une preuve de cette attention, si j’ose ajouter une remarque à un endroit de votre dernière lettre. Il me semble, que la proposition inverse, savoir « si la somme des puissances énièmes de deux nombres quelconques est de la forme hh + nff, la somme de ces nombres eux-mêmes sera de la même forme » est énoncée un peu trop généralement. » Lea Minod : Alors ce qu'on entend dans cet échange -le premier paragraphe était signé Sophie Germain et le reste était signé Carl Friedrich Gauss- c'est que c'est un échange aussi bien arithmétique qu'amical entre les deux.
Sophie Germain : « En me rendant compte de l’honorable mission dont je l’avais chargé, M. Pernety m’a mandé qu’il vous avait fait connaître mon nom : cette circonstance me détermine à vous avouer que je ne vous suis pas aussi parfaitement inconnue que vous le croyez ; mais que, craignant le ridicule attaché au titre de femme savante, j’ai autrefois emprunté le nom de M. Le Blanc pour vous écrire et vous communiquer des notes qui, sans doute, ne méritaient pas l’indulgence avec laquelle vous avez bien voulu y répondre. (…)
Carl Friedrich Gauss : Comment vous décrire mon admiration et mon étonnement en voyant se métamorphoser mon correspondant estimé, M. Le Blanc, en cet illustre personnage, qui donne un exemple aussi brillant de ce que j’aurais peine de croire ? (…)
Le goût pour les sciences abstraites en général et surtout pour les mystères des nombres est fort rare : on ne s’en étonne pas ; les charmes enchanteurs de cette sublime science ne se décèlent dans toute leur beauté qu’à ceux qui ont le courage de l’approfondir. Mais lorsqu’une personne de ce sexe, qui, par nos mœurs et par nos préjugés, doit rencontrer infiniment plus d’obstacles et de difficultés, que les hommes, à se familiariser avec ses recherches épineuses, sait néanmoins franchir ces entraves et pénétrer ce qu’elles ont de plus caché, il faut sans doute, qu’elle ait le plus noble courage, des talents tout à fait extraordinaires, le génie supérieur. En effet rien ne pourrait me prouver d’une manière plus flatteuse et moins équivoque, que les attraits de cette science, qui ont embelli ma vie de tant de jouissances, ne sont pas chimériques, que la prédilection, dont vous l’avez honorée.
Les notes savantes, dont toutes vos lettres sont si richement remplies, m’ont donné mille plaisirs. Je les ai étudiées avec attention, et j’admire la facilité avec laquelle vous avez pénétré toutes les branches de l’Arithmétique, et la sagacité avec laquelle vous les avez su généraliser et perfectionner. Je vous prie d’envisager comme une preuve de cette attention, si j’ose ajouter une remarque à un endroit de votre dernière lettre. Il me semble, que la proposition inverse, savoir « si la somme des puissances énièmes de deux nombres quelconques est de la forme hh + nff, la somme de ces nombres eux-mêmes sera de la même forme » est énoncée un peu trop généralement. »
Lea Minod : Alors ce qu'on entend dans cet échange -le premier paragraphe était signé Sophie Germain et le reste était signé Carl Friedrich Gauss- c'est que c'est un échange aussi bien arithmétique qu'amical entre les deux.
Laure Cornu : Oui, c'est ce qui m'a frappé la première fois que j'ai entendu cet échange-là. Je trouve que c'est la plus belle façon d'illustrer ce qu'il dit, qu'il a une grande reconnaissance envers elle et de ne pas changer leur rapport scientifique. C'est à dire que lorsqu'on entend un échange entre deux jeunes personnes de cet âge-là avec des mots courtois, on a un petit peu peur que qu'ils soient déviés de leur objectif premier, c'est à dire un échange scientifique. Ce n'est pas du tout le cas et je trouve qu'il lui fait un grand honneur en continuant à échanger avec elle comme avec un collègue scientifique.
Léa Minod : C'est à dire qu'il ne fait même pas cas du fait que c'est une femme. Il en parle un petit peu et puis il passe à autre chose.
Laure Cornu : Oui, il reconnaît quand même, et c’est aussi ce qui m'a plu dans cette lettre, le fait qu'elle a dû surmonter des obstacles qu'elle n’aurait pas eu à surmonter si cela avait été un homme.
Léa Minod : Il est féministe ?
Laure Cornu : (sourire) Oui… En tous cas, je pense qu’il est objectif et clairvoyant pour son époque.
Léa Minod : De quoi parle-t-il quand il évoque à la fois le mystère des nombres, la beauté, on a l'impression que les maths, c'est beau pour lui.
Laure Cornu : Oui, je pense que c'est le cas, quand on est aussi brillant, aussi passionné qu'on a un tel travailleur forcené qui est Gauss, on ne passe pas à côté des charmes de cette discipline. Il le dit aussi dans sa lettre, il dit que ce n'est pas facile et qu'elle ne s'offre qu'à ceux qui y travaillent. Je pense que c'est vrai. J'ai entendu récemment que les maths étaient une des disciplines les plus clivantes, c'est à dire qu'il y a des gens qui adorent et des gens qui détestent. Il y a peu de personnes qui sont dans l'entre deux. Je pense que c'est vrai. C'est une matière qui a beaucoup à offrir aux gens qui décident de s'y adonner.
Léa Minod : Est-ce que vous, personnellement, vous trouvez que les maths, c'est beau ?
Laure Cornu : Oui, pas toutes les maths, il y a des maths qui sont moches, il y a des maths qui sont belles.
Lea Minod : Quels sont les maths qui sont moches ?
Laure Cornu : Celles qui sont avec des écritures très complexes et qui ne simplifient pas la compréhension qu'on peut avoir de l'énoncé. Parfois, on va trouver quelque chose de subtil dans l'écriture d'un énoncé qui, tout à coup, va nous faire avoir une compréhension différente, et nous faire voir les choses plus loin, qui va nous permettre de généraliser. Quand on a réussi à faire ce pas de côté, on sent qu'on est face à quelque chose de beau. Au contraire, parfois, on sait peut-être même quelle est la solution et puis c'est laborieux… On passe des étapes qui sont calculatoires… On doit beaucoup écrire. Voilà. On sent qu'on n'est pas face à quelque chose qui nous a permis de synthétiser, de comprendre et d'être clairvoyant par rapport à l'énoncé de base.
Léa Minod : Et les maths belles alors ?
Laure Cornu : Les maths belles souvent c'est celles qu'on appelle les maths pures, en opposition aux maths appliquées. Et les maths belles, ce sont souvent des formules qui sont très concises et qui apportent beaucoup d'informations.
Léa Minod : Et dans la lettre de Sophie Germain, elle dit qu'elle a peur d'être une femme savante alors que Carl Friedrich Gauss lui, crie au génie. C'est étrange quand même ce décalage de réactions entre les deux.
Laure Cornu : Carl Friedrich Gauss dit que, dans leurs échanges, elle montre du génie, et elle, elle dit qu'elle a peur du ridicule qui est attachée au titre de femmes savantes. Je pense que c'est vrai. À l'époque, on considérait que c'était une activité qui était masculine et que c'était ridicule une femme qui s'y consacrait. Ce n'était pas bien vu, réellement pas bien vu. Voilà, il lui dit que c'est quelqu'un qui a su être opiniâtre, c'est ça qu’il souligne et je pense qu'il a raison. Elle a dû faire preuve de beaucoup d'opiniâtreté.
Léa Minod : A partir de quand est-ce que ce n’était plus ridicule pour les femmes de s'intéresser aux sciences ?
Laure Cornu : Je ne sais pas. Je sais que l'École polytechnique a mis presque 80 ans à accepter des femmes. Je pense que c'est certainement et probablement après la Seconde Guerre. Je pense que c'est certainement à cet entre-deux guerres où il y a des femmes qui ont commencé à participer à l'effort public. Et petit à petit, ça s'est démocratisé, mais ça s'est démocratisé doucement.
Léa Minod : Et alors pourquoi c'était si important pour vous aujourd'hui, en tant que femme mathématicienne, de nous faire entendre ce texte ?
Laure Cornu : Parce que quand je l'ai entendu, je l'ai entendu dans une pièce de théâtre dans laquelle on entendait plusieurs correspondances qu'avait eu Sophie Germain avec plusieurs hommes de son époque, plusieurs mathématiciens. Je connaissais le nom de presque tous ses interlocuteurs, qui sont des mathématiciens qui sont connus, que j'ai étudiés en cours. Sophie Germain j'en avais entendu parler qu'une fois, parce que c'était une femme, et je trouvais que les réactions de ces mathématiciens étaient diverses et je trouvais ça aussi intéressant de savoir quelles étaient les positions sociales des hommes de science. Pour moi, c'est un gage de qualité de voir que quelqu'un comme Gauss, dont je connaissais les travaux, était capable de reconnaître le génie d'une personne, même si elle était féminine, ce n'était pas donné à tous les hommes savants de son époque et je trouve ça toujours important de se rappeler que ça peut nous menacer.
Léa Minod : Merci beaucoup. Est ce qu'il y a des questions dans le public ?
Question public 1 : Oui, bonjour, merci. Moi j'ai une question par rapport à l'appétence qu'avait Sophie Germain pour les maths. Est-ce qu'on sait ce qui l'a vraiment déclenché et quelle était finalement à elle sa vision du monde telle qu'elle le vivait dans son époque ? Parce que, souvent, on se rend compte que les scientifiques à ce moment-là, c'était aussi une manière de traduire leur vision du monde et de l'exprimer à travers leur science.
Laure Cornu : Alors oui, on sait exactement ce qui l’a déclenché. Je vous remercie pour votre question. En fait, Sophie Germain, quand elle avait 13 ans à l'époque de la Révolution française, elle est enfermée dans la bibliothèque de son père et elle a lu les 1200 pages d'une histoire des mathématiques. Donc elle a lu l'histoire de la mort de Archimède, qui est un savant qui est mort, en quelque sorte, parce qu'il était plongé dans ses calculs. Il était à Syracuse, il y avait un siège romain et, alors qu'il était protégé, un soldat romain passait par là et il est venu s’enquérir… L'histoire raconte qu'il ne se serait même pas détourné de ses cercles ! Et donc agacé, le soldat romain l'a tué. Et Sophie Germain s'est dit « quelle est la science qui peut retenir ainsi l'attention d'un homme ? Ça doit forcément être quelque chose de très intéressant, de primordial. Il faut que je comprenne ce qui a tenu Archimède concentré sur ses cercles » !
Question Public 2 : Bonjour et merci. Une question sur quelles seraient les Sophie Germain d'aujourd'hui ? S'il y a des noms qui méritent d'être connus et qui ne le sont peut-être toujours pas.
Laure Cornu : Alors c'est difficile de connaître les Sophie Germain d'aujourd'hui. Sophie Germain, elle est restée à la postérité presque par miracle. C'est Legendre qui a décidé d'appeler son théorème le théorème de Sophie Germain, qu'il a publié dans son livre. Sophie Germain, malgré toute son opiniâtreté et son génie, n'a pas continué dans les maths, en partie parce qu'elle en a été dégoûtée. Si aujourd'hui il y avait des Sophie Germain, ça serait des personnes peut être dont on volerait des résultats… Après, aujourd'hui, les choses ont beaucoup changé. C'est à dire que si on est une femme et qu'on fait des mathématiques, on est la bienvenue, on est quand même écoutée. Il y a certainement encore du sexisme aujourd'hui, il y en a partout. On est dans une société qui ne traite pas les hommes et les femmes de la même manière, mais on est quand même plus au XVIIIᵉ siècle !
Question Public 2 suite : Alors je vais reformuler, quels sont d'autres noms de grandes mathématiciennes, et peut être des grandes mathématiciennes du XIXᵉ - XXᵉ siècle, qui sont méconnues du grand public aujourd'hui ?
Laure Cornu : Alors qu'il y a Maryam Mirzakhani qui a été médaille Fields, mais on ne peut quand même pas dire qu'elle est inconnue. C'est la première femme de science, le premier nom, qui me vient en tête aujourd'hui. Récemment, il y a une étudiante qui avait fait une découverte complètement inattendue dans la théorie des nœuds, simplement en écoutant une conférence de vulgarisation sur le sujet, qui a découvert un théorème hyper important. Aujourd'hui, je pense que quand il y a des découvertes qui sont produites par les femmes, en mathématiques, elles peuvent bénéficier peut-être d'une couverture médiatique supérieure parce que c'est frappant, etc. Par contre les embûches, elles se font avant. C'est à dire qu'il y a beaucoup moins de femmes scientifiques qui vont poursuivre dans des carrières longues. S’il y a autant d'étudiantes que d'étudiants, ce qui n'est déjà pas le cas, il y aura quand même moins de chercheuses en maths que de chercheurs en maths. C'est comme s'il y avait une sorte d'autocensure et que les femmes ne se permettaient pas de poursuivre des carrières longues.
Question public 3 : Pourquoi, semblerait-il, que nous soyons nuls en Maths, nous les Français ?
Laure Cornu : Je pense que ça a beaucoup changé. On a une formation universitaire qui est très particulière en France avec ce système de grandes écoles. C'est vraiment très français. On prend les meilleurs et on les coaches pour être les meilleurs des meilleurs. Et puis les autres, on les encadre très peu. Il n'y a pas d'université qui a dans le viseur d'être excellente. Vraiment. Et les meilleurs des meilleurs, parfois, sont plutôt attirés par des carrières à l'étranger puisque les conditions de recherche peuvent être plus favorables.
Question public 3 suite : Moi, je pensais plutôt à un enseignement des têtes blondes, comme on dit parfois, des tout jeunes.
Laure Cornu : Moi, je pense qu'en France, pendant longtemps, on a fait des mathématiques une matière de sélection et du coup, on a effrayé des hordes d'enfants avec ça, avec l'injonction à être le meilleur. Parce que le problème des mathématiques, c'est que on peut se faire peur, un peu comme à cheval, on peut tomber et quand on a peur, on n'arrive plus à réfléchir. Et donc, une personne qui a eu peur une fois n'arrivera plus à réfléchir. C'est ce que j'ai constaté, moi, dans les ateliers de récréations mathématiques que je conduisais au Palais. Donc en fait, quelque part, ce sont que des personnes qui s'écartent petit à petit de la compréhension de nouveaux savoirs, l'accumulation de savoirs mathématiques et c’est vrai que si on en avait fait une matière parmi d'autres, ce serait tourné vers cette matière, des gens qui en avaient envie et seraient restés dans cette volonté, un peu une approche ludique de jeux, d'approfondissement. Beaucoup plus proche, je pense de celle qu’avait Sophie Germain.
Léa Minod : Merci Laure Cornu. Merci Audrey Stupovski pour la lecture et merci au public.Sophie Germain devient ainsi en 1808 la première femme à gagner un concours scientifique grâce à une théorie sur l'élasticité des corps. Mais comme elle demeure femme, l'Académie des sciences refusera la publication de cette théorie. A sa mort en 1831, le titre de mathématicienne n'est même pas inscrit sur sa tombe. Pourtant, ses réflexions sur l'élasticité des corps ont été déterminante dans la construction de la Tour Eiffel paraît-il, et son nom n'apparaît nulle part parmi celui des 72 savants dont les connaissances ont éclairé les architectes. Il faudra attendre la fin du XIXᵉ siècle pour que ses travaux sortent enfin de l'ombre de son genre. Et il faudra attendre 2014 pour que la médaille Fields soit remise pour la première fois à une femme mathématicienne, l'Iranienne Maryam Mirzakhani.
Voix off : Merci à Laure Cornu et au reste de l'équipe des médiateurs et médiatrice du Palais de la découverte ainsi qu'au public. Lecture en direct : Audrey Stupovski. Une interview signée Léa Minod. Sound design et réalisation Bertrand Chaumeton.
“Sciences Lues” est une série de podcasts originaux réalisée par écran sonore et produite par Universcience. Retrouvez “Sciences Lues” sur toutes les plateformes de podcasts ainsi que sur le site palais-decouverte.fr.
Ceci est un extrait de la correspondance entre Carl Friedrich Gauss et Sophie Germain qui date de 1807. À cette époque, les deux auteurs ne s’étaient encore jamais rencontrés. Gauss, était un jeune mathématicien qui vivait à Brunswick, en Prusse, et bien qu’il n’eût que 29 ans, il jouissait déjà d’une reconnaissance internationale. Six ans plus tôt, il publiait les « Disquisitiones Arithmeticae », un livre sur la théorie des nombres. C’est à la suite de la lecture de ce livre pointu, que Sophie Germain, jeune femme appartenant à la bourgeoisie parisienne et autodidacte, entama avec lui une correspondance mathématique.
Afin de s’épargner le ridicule qu’attirait alors le titre de femme savante, elle cache sa véritable identité sous un nom d’emprunt masculin, celui d'Antoine-Auguste Le Blanc. Elle est coutumière du fait, l’identité d'Antoine-Auguste Le Blanc lui ayant déjà servi de couverture pour s’inscrire aux cours de l’École polytechnique dont l’accès était alors exclusivement réservé aux hommes.
En 1807, Brunswick est envahi par les troupes Napoléoniennes. Sophie Germain s’inquiète alors de la situation de son correspondant et demande à un ami de la famille, le commandant Pernety, chef de l’artillerie de l’armée française, de placer le mathématicien sous sa protection militaire. Celui-ci dépêche alors un émissaire à son domicile qui lui apprend que sa protectrice est Mademoiselle Sophie Germain. Gauss avoue ne pas avoir l’honneur de la connaître. Celle-ci se charge alors de lui révéler sa véritable identité dans un courrier qui date du 20 février 1807.
En me rendant compte de l’honorable mission dont je l’avais chargé, M. Pernety m’a mandé qu’il vous avait fait connaître mon nom : cette circonstance me détermine à vous avouer que je ne vous suis pas aussi parfaitement inconnue que vous le croyez ; mais que, craignant le ridicule attaché au titre de femme savante, j’ai autrefois emprunté le nom de M. Le Blanc pour vous écrire et vous communiquer des notes qui, sans doute, ne méritaient pas l’indulgence avec laquelle vous avez bien voulu y répondre. (…)
Comment vous décrire mon admiration et mon étonnement en voyant se métamorphoser mon correspondant estimé, M. Le Blanc, en cet illustre personnage, qui donne un exemple aussi brillant de ce que j’aurais peine de croire ? (…) Le goût pour les sciences abstraites en général et surtout pour les mystères des nombres est fort rare : on ne s’en étonne pas ; les charmes enchanteurs de cette sublime science ne se décèlent dans toute leur beauté qu’à ceux qui ont le courage de l’approfondir. Mais lorsqu’une personne de ce sexe, qui, par nos mœurs et par nos préjugés, doit rencontrer infiniment plus d’obstacles et de difficultés, que les hommes, à se familiariser avec ses recherches épineuses, sait néanmoins franchir ces entraves et pénétrer ce qu’elles ont de plus caché, il faut sans doute, qu’elle ait le plus noble courage, des talents tout à fait extraordinaires, le génie supérieur. En effet rien ne pourrait me prouver d’une manière plus flatteuse et moins équivoque, que les attraits de cette science, qui ont embelli ma vie de tant de jouissances, ne sont pas chimériques, que la prédilection, dont vous l’avez honorée. Les notes savantes, dont toutes vos lettres sont si richement remplies, m’ont donné mille plaisirs. Je les ai étudiées avec attention, et j’admire la facilité avec laquelle vous avez pénétré toutes les branches de l’Arithmétique, et la sagacité avec laquelle vous les avez su généraliser et perfectionner. Je vous prie d’envisager comme une preuve de cette attention, si j’ose ajouter une remarque à un endroit de votre dernière lettre. Il me semble, que la proposition inverse, savoir « si la somme des puissances énièmes de deux nombres quelconques est de la forme hh + nff, la somme de ces nombres eux-mêmes sera de la même forme » est énoncée un peu trop généralement.
Comment vous décrire mon admiration et mon étonnement en voyant se métamorphoser mon correspondant estimé, M. Le Blanc, en cet illustre personnage, qui donne un exemple aussi brillant de ce que j’aurais peine de croire ? (…)
Le goût pour les sciences abstraites en général et surtout pour les mystères des nombres est fort rare : on ne s’en étonne pas ; les charmes enchanteurs de cette sublime science ne se décèlent dans toute leur beauté qu’à ceux qui ont le courage de l’approfondir.
Mais lorsqu’une personne de ce sexe, qui, par nos mœurs et par nos préjugés, doit rencontrer infiniment plus d’obstacles et de difficultés, que les hommes, à se familiariser avec ses recherches épineuses, sait néanmoins franchir ces entraves et pénétrer ce qu’elles ont de plus caché, il faut sans doute, qu’elle ait le plus noble courage, des talents tout à fait extraordinaires, le génie supérieur.
En effet rien ne pourrait me prouver d’une manière plus flatteuse et moins équivoque, que les attraits de cette science, qui ont embelli ma vie de tant de jouissances, ne sont pas chimériques, que la prédilection, dont vous l’avez honorée.
Les notes savantes, dont toutes vos lettres sont si richement remplies, m’ont donné mille plaisirs. Je les ai étudiées avec attention, et j’admire la facilité avec laquelle vous avez pénétré toutes les branches de l’Arithmétique, et la sagacité avec laquelle vous les avez su généraliser et perfectionner. Je vous prie d’envisager comme une preuve de cette attention, si j’ose ajouter une remarque à un endroit de votre dernière lettre. Il me semble, que la proposition inverse, savoir « si la somme des puissances énièmes de deux nombres quelconques est de la forme hh + nff, la somme de ces nombres eux-mêmes sera de la même forme » est énoncée un peu trop généralement.
Tanguy Schindler, notre médiateur en sciences de la vie, nous partage la lecture d’un texte extrait de l’ouvrage de Stephen Jay Gould « Et Dieu dit : « que Darwin soit ».
Philippe Thébaut, astrophysicien, chercheur à l'Observatoire de Paris et médiateur, nous partage la lecture d’un texte extrait de l'ouvrage « De revolutionibus orbium coeletium » de Nicolas Copernic.
Emmanuel Sidot, notre médiateur en physique, nous partage la lecture d’un texte tiré de l'ouvrage "Institution de physique" d'Emilie du Chatelet.
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