George Gamow

Monsieur Tompkins découvre l'atome

Jacques Petitpré, notre médiateur en physique, nous partage la lecture d’un texte extrait de l’œuvre de George Gamow « M.Tompkins explore l’atome ». Homme curieux et ouvert mais pas scientifique, M.Tompkins nous plonge avec lui au cœur de ses rêves pour y découvrir un monde fantasmagorique, celui de la science. Il ne va pas seulement comprendre des notions scientifiques, mais les vivre, et partir à la rencontre d’un des plus grands physiciens de l’époque, Wolfgang Pauli, d’une façon pour le moins inattendue !


À propos de George Gamov

Ce texte est tiré d’un livre de George Gamow, un grand nom de la physique de la première moitié XXe siècle. Époque bénie, s’il en est. Hélas les plus grands physiciens ne sont pas forcément les meilleurs professeurs ni les meilleurs vulgarisateurs. Heureusement, il y a quelques grandes exceptions parmi lesquelles George Gamow. 

Il est notamment l’auteur des quatre volumes des aventures de M.Tompkins. On y parle de physique bien entendu mais également de chimie et de biologie. 

Monsieur Tompkins est un homme curieux et ouvert mais pas scientifique qui va plonger au cœur de ses rêves pour y découvrir un monde fantasmagorique, celui de la science. Il est à noter que sa femme, madame Tompkins, si elle n’a pas le rôle principal, est présente et fort bien considérée pour l’époque (les années 50). N’exagérons pas non plus, le rôle de l’autorité scientifique est dévolu à son père, physicien, le beau-père de M.Tompkins ! 

Ce texte est issu du deuxième volume : « M.Tompkins explore l’atome ». Comme à son habitude, notre héros s’endort, ici lors des conférences soporifiques de son beau-père physicien. Monsieur Tompkins va se rêver au cœur de la matière, baigné dans les notions abstraites dont parle son beau-père. Il ne va pas seulement comprendre ces notions, il va les vivre. Il va également y rencontrer l'un des plus grands physiciens de l’époque, Wolfgang. Pauli d’une façon pour le moins inattendue ! 

Voici comment monsieur Tompkins rêve du remplissage des couches électroniques d’un atome et de la notion d’électron de valence.


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Monsieur Tompkins découvre l'atome

Quand il s’enfonça dans son sommeil, l’inconfort de son siège austère disparut, pour faire place à l’agréable sensation de flotter dans les airs ; il ouvrit les yeux et eut la surprise de se trouver filant à travers l’espace à une assez bonne vitesse, 

Regardant autour de lui, il se rendit compte qu'il n’était pas seul dans ce voyage fantastique. Beaucoup de formes vagues et nébuleuses évoluaient, comme lui, autour d’un objet de grande taille et qui paraissait lourd. Ces êtres étranges voyageaient par paires en se poursuivant gaiement sur des pistes circulaires où elliptiques. M. Tompkins se sentit soudain tout malheureux, car, seul de tout le groupe, il n’avait pas de compagnon. 

« Pourquoi n’ai-je pas emmené Maud ? » se demandait-il tristement. « Nous nous serions bien amusés dans cette foule joyeuse ».  

La piste sur laquelle il se mouvait était extérieure aux autres, et il avait très envie de se joindre à la bande, mais la pénible impression d'être un individu excentrique l’en empêchait. Malgré tout, quand un des électrons passa près de lui (car M. Tompkins avait compris qu’il se trouvait mêlé à la communauté électronique d’un atome), il ne put se retenir de lui faire part de ses ennuis. 

« Pourquoi n’ai-je personne pour jouer avec moi? » lui cria-t-il. 

« Parce que cet atome est impair, et que vous êtes l’électron de valence », lui lança l’électron en virant et en se replongeant dans la foule dansante. 

« Les électrons de valence vivent seuls où trouvent des compagnons dans d’autres atomes », cria le soprano strident d’un autre électron, qui passait devant lui à toute vitesse. 

« S'il te faut un bon copain,« Saute dans le chlore et tends la main» chantait un autre d’un air moqueur. 

« Je vois que vous êtes nouveau ici, mon fils, et que vous vous sentez très seul » dit affectueusement une voix au-dessus de lui.  

En levant les yeux, M. Tompkins aperçut la large silhouette d'un moine vêtu d’une robe brune.  

« Je suis le Père Paulini », continua le moine en parcourant la piste avec M. Tompkins, «et ma mission sur terre est de veiller sur la vie physique et morale des électrons, dans les atomes et partout ailleurs. C’est mon devoir de distribuer comme il faut ces folâtres particules sur les différentes couches quantiques des belles structures atomiques construites par notre grand architecte Niels Bohr. Afin de maintenir l’ordre et de sauvegarder les convenances, je ne permets jamais à plus de deux électrons d'emprunter la même piste; vous savez bien que les ménages à trois créent toujours des difficultés. Les électrons sont donc en tous temps groupés par paires de « spin » opposé, et aucun intrus n'est admis sur une piste déjà occupée par un couple. C'est une bonne loi, et je dois ajouter qu'aucun électron n'a encore enfreint mes ordres. » 

« C’est peut-être une bonne loi », objecta M. Tompkins, « mais elle ne me convient guère en ce moment. » 

« Je comprends », dit le moine en souriant. « Vous n'avez vraiment pas de chance d’être électron de valence dans un atome impair. À cause de la charge électrique de son noyau l’atome de sodium dont vous faites partie a droit à onze électrons en tout (le noyau est cette grosse masse noire que vous voyez au centre). Malheureusement pour vous, onze est un nombre impair, ce qui n’est pas inhabituel, puisqu'un nombre sur deux est impair, et un sur deux pair. Comme vous êtes le dernier arrivant, vous allez rester seul quelque temps. » 

« Vous voulez dire que j'ai quelque chance de m'en tirer plus tard? » s'empressa de demander M. Tompkins. « Par exemple en chassant l’un des anciens ? » 

« Pas exactement », dit le moine en le menaçant de son index charnu. « Pourtant, il peut toujours se faire qu'un des membres d’un cercle intérieur soit projeté au dehors par une perturbation étrangère ; et cela libérerait une place. Mais si j’étais vous, je n’y compterais pas trop. » 

 « Ils m'ont dit que je devrais aller dans du chlore », dit M. Tompkins, déçu des paroles du Père Paulini. « Pouvez-vous m’expliquer comment il faut faire ? » 

« Jeune homme, jeune homme!» soupira le moine tristement, « pourquoi recherchez-vous à ce point la compagnie ?Ne pouvez-vous jouir de votre solitude et de l’occasion que le Ciel vous envoie de contempler votre âme en toute sérénité? Pourquoi les électrons impairs doivent-ils toujours aspirer à la vie temporelle ?.… Pourtant, si vous insistez pour ne pas rester seul, je vous aiderai à réaliser votre souhait. Regardez dans la direction que je vous indique, vous verrez un atome de chlore qui s'approche de nous, et même à cette distance vous pourrez apercevoir une place inoccupée où vous seriez très certainement le bienvenu. La place vide se trouve dans le groupe des électrons extérieurs, ou « couche M », qui doit être composée de huit électrons accouplés en quatre paires. Quatre électrons parcourent la piste dans un sens, et trois seulement dans l’autre, ce qui laisse une place vacante, Les couches internes, connues sous le nom de « couches K » et «I» sont complètement remplies et l'atome sera très heureux de vous recevoir pour compléter sa couche extérieure. Quand les deux atomes seront l'un près de l'autre, vous n'aurez qu'à sauter, comme le font tous les électrons de valence. Que la paix soit avec vous, mon fils! » Sur ces mots, l’impressionnante silhouette du prêtre électronique s‘évanouit soudain dans l'air.