Laure Cornu, notre médiatrice en mathématiques, nous partage la lecture d’extraits de la correspondance entre Sophie Germain et Carl Friedrich Gauss, datant de 1807, et qui a fait naître des liens aussi bien arithmétiques qu'amicaux entre ces deux mathématiciens de génie. 


À propos de Sophie Germain et de Carl Friederich Gauss

Ceci est un extrait de la correspondance entre Carl Friedrich Gauss et Sophie Germain qui date de 1807. À cette époque, les deux auteurs ne s’étaient encore jamais rencontrés. Gauss, était un jeune mathématicien qui vivait à Brunswick, en Prusse, et bien qu’il n’eût que 29 ans, il jouissait déjà d’une reconnaissance internationale. Six ans plus tôt, il publiait les « Disquisitiones Arithmeticae », un livre sur la théorie des nombres. C’est à la suite de la lecture de ce livre pointu, que Sophie Germain, jeune femme appartenant à la bourgeoisie parisienne et autodidacte, entama avec lui une correspondance mathématique.   

Afin de s’épargner le ridicule qu’attirait alors le titre de femme savante, elle cache sa véritable identité sous un nom d’emprunt masculin, celui de Maurice Leblanc. Elle est coutumière du fait, l’identité de Maurice Leblanc lui ayant déjà servi de couverture pour s’inscrire aux cours de l’École polytechnique dont l’accès était alors exclusivement réservé aux hommes.  

En 1807, Brunswick est envahi par les troupes Napoléoniennes. Sophie Germain s’inquiète alors de la situation de son correspondant et demande à un ami de la famille, le commandant Pernety, chef de l’artillerie de l’armée française, de placer le mathématicien sous sa protection militaire. Celui-ci dépêche alors un émissaire à son domicile qui lui apprend que sa protectrice est Mademoiselle Sophie Germain. Gauss avoue ne pas avoir l’honneur de la connaître. Celle-ci se charge alors de lui révéler sa véritable identité dans un courrier qui date du 20 février 1807. 


Découvrez les extraits de leur correspondance

Sophie Germain :

En me rendant compte de l’honorable mission dont je l’avais chargé, M. Pernety m’a mandé qu’il vous avait fait connaître mon nom : cette circonstance me détermine à vous avouer que je ne vous suis pas aussi parfaitement inconnue que vous le croyez ; mais que, craignant le ridicule attaché au titre de femme savante, j’ai autrefois emprunté le nom de M. Le Blanc pour vous écrire et vous communiquer des notes qui, sans doute, ne méritaient pas l’indulgence avec laquelle vous avez bien voulu y répondre. (…) 

Réponse de Carl Friedrich Gauss :

Comment vous décrire mon admiration et mon étonnement en voyant se métamorphoser mon correspondant estimé, M. Leblanc, en cet illustre personnage, qui donne un exemple aussi brillant de ce que j’aurais peine de croire ? (…) 

Le goût pour les sciences abstraites en général et surtout pour les mystères des nombres est fort rare : on ne s’en étonne pas ; les charmes enchanteurs de cette sublime science ne se décèlent dans toute leur beauté qu’à ceux qui ont le courage de l’approfondir.

Mais lorsqu’une personne de ce sexe, qui, par nos mœurs et par nos préjugés, doit rencontrer infiniment plus d’obstacles et de difficultés, que les hommes, à se familiariser avec ses recherches épineuses, sait néanmoins franchir ces entraves et pénétrer ce qu’elles ont de plus caché, il faut sans doute, qu’elle ait le plus noble courage, des talents tout à fait extraordinaires, le génie supérieur.

En effet rien ne pourrait me prouver d’une manière plus flatteuse et moins équivoque, que les attraits de cette science, qui ont embelli ma vie de tant de jouissances, ne sont pas chimériques, que la prédilection, dont vous l’avez honorée. 

Les notes savantes, dont toutes vos lettres sont si richement remplies, m’ont donné mille plaisirs. Je les ai étudiées avec attention, et j’admire la facilité avec laquelle vous avez pénétré toutes les branches de l’Arithmétique, et la sagacité avec laquelle vous les avez su généraliser et perfectionner. Je vous prie d’envisager comme une preuve de cette attention, si j’ose ajouter une remarque à un endroit de votre dernière lettre. Il me semble, que la proposition inverse, savoir « si la somme des puissances énièmes de deux nombres quelconques est de la forme hh + nff, la somme de ces nombres eux-mêmes sera de la même forme » est énoncée un peu trop généralement.