Evelyne Heyer - L'odyssée des gènes (S2E7)
Liste des intervenants
- Alexandre Héraud (voix off)
 - Léa Minod (journaliste)
 - Olivier Coulon (médiateur)
 - Claire Almayrac (lecture) 
 
Léa Minod : Arpenteuse du monde et détective de l'humanité, elle en a parcouru des kilomètres, à la recherche d'un trésor infime. Ni épices, ni traditions, ni langues. Il s'agit de nos gènes. Et oui, c'est leur histoire que cherche à rembobiner l'anthropologue généticienne Evelyne Heyer, et c'est elle, ou plutôt son travail, qu'a choisi aujourd'hui de nous faire découvrir Olivier Coulon, médiateur en sciences de la Terre au Palais de la découverte. Bonjour Olivier !
Olivier Coulon : Bonjour.
Léa Minod : De quel livre est extrait le texte que vous avez choisi d'Evelyne Heyer ?
Olivier Coulon : C'est un livre qui s'appelle L'odyssée des gènes.
Léa Minod : Et pourquoi vous l'avez choisi ?
Olivier Coulon : Parce que, pour avoir l'habitude des fois de parler de l'évolution dans le cadre des exposés du Palais, quand j'en ai entendu parler, je me suis dit : ça va m'apporter des billes sur des points de détail, et en fait ça m'a ouvert tout un champ. C'est toute une partie que l'on traite peu, parce que c'est la partie la plus récente et c'est passionnant, vraiment. Le terme d'odyssée porte bien son nom.
Léa Minod : C'est-à-dire qu’elle s'étend sur quelle période cette odyssée ?
Olivier Coulon : Le livre commence par raconter un peu les débuts de ce qu'on pourrait appeler, peut-être plus que l'humanité, c'est un groupe qu'on appelle les Hominines, où il y a la fameuse Lucy qui est australopithèque, il y a toutes les histoires. Cela, elle l'évoque quand même assez rapidement, parce que là, justement, on n'a pas vraiment les gènes. Elle montre comment, à partir des gènes, on peut essayer d'imaginer quand différents groupes s'individualisent, ce qu'ils appellent l'horloge moléculaire, et qu'il y a des limites. L'histoire qu'elle raconte après, je dirais qu’elle commence il y a 300 000 ans, à partir du moment de l'émergence de notre espèce, l'espèce sapiens. Elle parle aussi beaucoup des Néandertaliens, qui sont à peine plus anciens, 400 000 ans.
Léa Minod : Dans cet extrait, on s'arrête sur le Néolithique. Est-ce que vous pouvez nous rappeler ce qu’est cette période révolutionnaire du Néolithique ?
Olivier Coulon : Disons que le Néolithique avait été établi comme le moment où l'agriculture va se propager, va se développer, et peu à peu, on peut imaginer que les populations humaines, avant, étaient plutôt de type chasseurs-cueilleurs.
Léa Minod : Et nomades ?
Olivier Coulon : Et nomades, tout à fait, même s'il n'y avait pas forcément un immense territoire. Elle montre bien, d'ailleurs, pour d'autres histoires de colonisation, que des fois, les enfants vont partir un tout petit peu à côté, mais ils étendent leur territoire avec chacun qui bougent comme cela. Et avec l'agriculture il y aura la sédentarisation, puis l'élevage, et on peut imaginer beaucoup de bouleversements dans les sociétés humaines.
Léa Minod : Pas seulement dans les gènes, mais aussi dans notre alimentation ?
Olivier Coulon : Tout à fait, puis les chasseurs-cueilleurs ont clairement un mode de vie sociale qui est pas développé. Je ne connais pas trop, mais disons que la sédentarisation va sans doute aussi modifier les relations entre les populations et énormément. C'est vrai que, à de nombreux points de vue, c'est un grand bouleversement. Je sais même que, actuellement, quand il y a des grands débats, pour dire quand commence l'Anthropocène…
Léa Minod : L'Anthropocène, vous nous rappelez ?
Olivier Coulon : L'Anthropocène c'est l'idée qu'on marquerait une période géologique pendant laquelle l'influence de l'Homme est prégnante, qu’elle va modifier notamment le climat, mais pas seulement, qu’elle va laisser des traces dans le futur. Cela est très discuté. Mais surtout ce qui est amusant, c'est que personne n'est totalement d'accord sur quand l'affaire a commencé ? Est-ce que c'est la révolution industrielle, etc. ? Et pour certains philosophes, cela pourrait être le Néolithique...
Léa Minod : Donc c'est quand le Néolithique ?
Olivier Coulon : -6000 à -2200 dans les découpages qui ont été établis. En plus, au départ, anciennement, c'est lié aux outils, à des tas de découvertes que j'appellerais purement archéologiques et d'ailleurs Evelyne Heyer ne donne pas une date qui serait génétique, mais disons qu'elle montre plutôt comment l'agriculture va se répandre dans toutes les régions où il y avait des populations humaines, alors qu'avant elle a dû commencer dans des lieux précis, peut-être à plusieurs endroits. On voit que c'est loin d'être simple. Et c'est cela qui est passionnant, je trouve, dans ce livre, c'est que, à chaque fois, on ouvre une porte, on a des réponses à une petite question qu'on se posait, mais ça en pose plein d'autres, c'est-à-dire que ce n’est jamais définitif. En plus, c'est à prendre avec des pincettes, il y a toujours des parts d'erreur, des choses comme ça, qui font qu'on ne peut pas affirmer que c'est exactement comme cela que ça s'est passé. Mais disons qu'elle illustre très bien comment la recherche, la science en général, permet des fois de répondre partiellement à des questions, en compliquant presque le problème, en ouvrant plein d'autres questions et il y a un petit côté comme cela assez fascinant dans cette histoire.
Léa Minod : Elle a plusieurs casquettes, Evelyne Heyer : elle est anthropologue, elle est biologiste, elle est généticienne. En quoi est-ce que cette interdisciplinarité lui permet d'aller creuser justement dans l'odyssée de nos gènes ?
Olivier Coulon : C'est-à-dire que ce qui va réellement être un atout, je pense, c'est que si elle ne travaillait que sur la génétique, elle pourrait comparer des séquences ADN, en déduire des choses assez intéressantes, mais là effectivement, le fait qu’elle soit anthropologue, je crois qu'elle a commencé par travailler beaucoup sur des populations de Pygmées en Afrique, elle va pouvoir très vite mieux comprendre. Si on parle de transmission de gènes, comment les gens se rencontrent, échangent des gènes ? Généralement c’est en se reproduisant. Cela lui permet, avec cette approche-là, de voir quelles sont les contraintes sociales ou les habitudes des groupes. C'est déjà quelque chose de très intéressant. Ensuite, elle peut replacer cela dans un cadre plus général et ciblé. Pour avoir la réponse à telle question, il faudrait peut-être aller chercher dans telle région où là, il semble qu'on ait des traces assez anciennes, etc, c'est-à-dire que c'est vraiment l'idée d’une pluridisciplinarité qui permet d'assez vite cerner l'objet de la recherche de manière plus précise. Ensuite, elle le dit, elle collabore beaucoup avec des tas de spécialistes qui, après, vont affiner. Puis, au niveau du livre, c'est ce qui permet de voyager un peu, de rendre la lecture très agréable, parce qu'il n'y a pas une chronologie qui dit : à tel moment il se passe telle chose, etc.
Léa Minod : Le voyage donc.
Claire Almayrac (lecture) : « Une bonne façon de se convaincre aujourd'hui de la tempête culturelle qu'a représentée le Néolithique est de voyager à At'Bashi, une bourgade du Kirghizistan perchée à 2 000 mètres d'altitude dans le nord de l'Himalaya. Mon équipe et moi y sommes allés pour une mission sur laquelle je reviendrai. C'est le jour du marché quand nous arrivons. Les sommets qui nous dominent au sud s'élèvent à plus de 7 000 mètres. De l'autre côté, c'est la Chine. La foule est dense, les échoppes pullulent. Le boulanger fait son pain en forme de galette dans le four en pierre : à peine cuit, il le marque de son sceau avec son numéro de téléphone ! Les bêlements des moutons et des chèvres prêts à être vendus fusent de toute part. Autant les stands de boucherie, de produits laitiers sont fréquents, autant les fruits et légumes frais se font rares.
Le décor se métamorphose littéralement quand, une semaine plus tard, nous poussons en Ouzbékistan à quelques centaines de kilomètres de là, jusqu'à la vallée de Ferghana – à Andijan précisément. Le changement d'ambiance prend directement ses racines au Néolithique, et, quand j'avance entre les étals du marché, j'ai presque l'impression de revivre en accéléré la révolution qui a remodelé la face de la planète il y a 10 000 ans... Ici, c'est à l'inverse l'extraordinaire foisonnement des stands de fruits qui attire l'œil. Les plus flamboyants sont les abricots. Nous sommes en effet dans la zone d'origine des abricotiers, avant qu'ils ne diffusent dans le monde entier. En Asie centrale, la diversité de ces fruits est incroyable, des blancs, juteux comme des pêches, aux oranges, plus classiques, que nous connaissons.
Ce contraste avec le marché aux chevaux d'At'Bashi m'emplit d'un sentiment diffus : comment expliquer que des populations qui se côtoient aient des modes de vie si distincts ? Surtout, la généticienne que je suis ne peut s'empêcher de se poser la question : ces différences culturelles se lisent-elles dans l'ADN des populations ? »
Léa Minod : On a voyagé au Kirghizistan dans ce premier extrait. Pourquoi est-ce qu'elle a choisi le Kirghizistan ?
Olivier Coulon : Parce que, clairement, cette région de toute l'Asie centrale, telle que le Kirghizistan, Turkménistan, Kazakhstan, etc, c'est un peu un foyer de diversité, comme c'est très bien décrit, où on va retrouver à la fois des populations qui ont une tradition assez ancienne de vie plutôt nomade, avec des éleveurs de chevaux, et, en même temps, d'autres populations, avec un développement d'agriculture et de sédentarité, même encore aujourd'hui. C’est cela qui est fascinant d'ailleurs parce que des fois, on a une image un peu d'un monde mondialisé, uniforme, et j'avoue que je connais pas du tout ces régions, mais ça m'a fait voyager, cela donne envie d'y aller et je pense effectivement qu’il y a une géologie particulière dans le coin. On est au contrefort de l'Himalaya et du Tibet donc je pense que les reliefs aussi isolent énormément des vallées et des zones. Cela peut expliquer aussi qu'il y ait cette grande diversité. Puis, après, elle raconte tout au long de ces chapitres comment elle va aller de tribus en petits villages pour essayer d'analyser les gènes, de retracer un peu une histoire de ce qui s'est passé dans cette région qui, en plus, elle le révèle plus tard, est vraiment un point névralgique, puisque on n'est pas loin de l'endroit où, peu à peu, d'autres populations bien avant, sont arrivées en Europe et dont on garderait des traces dans notre génome d'Européen.
Léa Minod : C'est curieux, parce qu'elle fait une description qui est presque intemporelle, voire même qu'on pourrait imaginer complètement passée. Et tout d'un coup surgit un détail : le boulanger qui impose le sceau de son numéro de téléphone. C'est un peu comme dans l'histoire de ces gènes en fait, qu'on porte à l’intérieur de nous pendant toute une histoire puis, finalement, on est ce mélange entre passé et présent ?
Olivier Coulon : Tout à fait oui, ce passage est très marquant. On imagine qu'il imprime son 06, donc on voit la modernité, forcément, elle est partout et régulièrement comme cela, elle nous emporte avec des petits détails de ses missions, des petites anecdotes, sans pour autant perdre le fil de ce qu'elle cherche à expliquer.
Léa Minod : Donc c'est un texte hybride finalement, c'est à la fois un récit de voyage et, en même temps, un compte-rendu de ses découvertes sur la génétique.
Olivier Coulon : Oui, tout à fait, c'est même en plus un voyage dans le temps. Il y a un voyage géographique dans le temps, qui rend la lecture très agréable. Il y a vraiment une facilité de lecture par cette mise en contexte que j'ai trouvée vraiment réussie.
Léa Minod : Et la dernière phrase, qui est une interrogation : « ces différences culturelles se lisent-elles dans l'ADN de la population ? » Qu'est-ce qu'elle résume cette dernière phrase ?
Olivier Coulon : Elle résume quand même un petit peu cette quête ! C'est-à-dire qu’à aucun moment elle laisse entendre que les gènes décideraient, si j'ose dire, à notre place, mais elle montre comment, en analysant la dispersion du génome entre différentes populations, cela raconte des modifications, dans certaines régions, de comportements culturels. C'est-à-dire qu’elle se pose régulièrement la question, mais elle montre bien, par d'autres exemples, que ce n’est pas aussi simple que cela en a l'air. Des fois, elle s'amuse un peu à poser la question : est-ce que la dispersion des gènes précède une dispersion de faits culturels, par exemple, ou l'inverse ? Et en fait c'est très entremêlé, ça dépend des contextes, mais c'est effectivement un peu l'objet de sa quête. L'idée c'est qu'en repérant dans des populations actuelles des traces de génomes anciens dont on sait qu'ils proviennent d'autres régions que celles où on les trouve aujourd'hui, on va pouvoir en déduire qu’il y a eu des phénomènes de migrations et de mélanges, et elle essaye un peu de comprendre comment tout cela s'est passé dans une période finalement assez brève par rapport aux échelles géologiques auxquelles je suis habitué. Pour l'histoire de l'humanité, cela reste quand même assez court, même si ça nous paraît bien long dès qu'on parle en milliers d'années. Moi, j'étais assez fasciné de voir qu'on arrivait vraiment à retracer des grandes phases de nouveaux peuplements dans des régions entières. Je ne pensais pas qu'on pourrait avoir ce détail-là. Et clairement, avec les gènes, on arrive à avoir ces informations et elle essaie de démêler tout ça, mais en même temps, il reste beaucoup de questions, c'est cela qui est passionnant.
Léa Minod : On va écouter maintenant la deuxième partie du texte, qui révèle bien davantage la quête d'Evelyne Heyer.
Claire Almayrac (lecture) : « Concentrons-nous sur l'Eurasie, où l'arrivée de ce nouveau mode de vie est bien documentée. L’agriculture et l'élevage, alliés à la poterie, émergent au Moyen-Orient, dans le Croissant fertile, il y a au moins 10 000 ans. Mais comment ce nouveau mode de vie s'est-il diffusé ?
Deux hypothèses sont envisageables : une diffusion culturelle ou une diffusion dite « démique ». Dans la première option, seules les nouvelles techniques se diffusent : les chasseurs-cueilleurs locaux se mettent à l'agriculture et adoptent de nouvelles technologies. Autrement dit, seule la poterie voyage, pas les gens. Dans la seconde, il y a bel et bien migration humaine : les agriculteurs arrivent, s'installent en Europe et remplacent les populations de chasseurs-cueilleurs locaux. Cette fois, l'agriculture, la poterie et les peuples se déplacent.
La génétique conforte-t-elle cette piste ? L’idée est de mesurer s'il y a une continuité génétique des populations avant et après l'arrivée du Néolithique. S'il existe une continuité génétique, cela signifie sans l'ombre d'un doute que ce sont les chasseurs-cueilleurs qui ont adopté un nouveau mode de vie. Si, au contraire, il n'y a pas de continuité, alors on a eu affaire au remplacement des populations.
Que nous ont appris les études d'ADN ? Que les Européens chasseurs-cueilleurs du Mésolithique sont génétiquement différents des premiers agriculteurs européens. Or les premiers agriculteurs européens sont génétiquement très similaires aux agriculteurs d'Anatolie, en Turquie. Autrement dit, il y a eu une arrivée de nouveaux individus en même temps que de nouvelles techniques venues d'Anatolie. En définitive, la génétique étaye l'hypothèse dite « démique » favorisée par l'archéologie.
Que deviennent les chasseurs-cueilleurs à l'arrivée des agriculteurs ? Ils ne disparaissent pas ! L’ADN des populations du Néolithique en Europe a permis de les retrouver : les restes humains du Néolithique plus récent sont plus proches génétiquement des chasseurs-cueilleurs que les premiers agriculteurs arrivés du Moyen-Orient. Autrement dit, il y a eu au fil du temps des mélanges entre ces Néolithiques arrivés du Moyen-Orient et les chasseurs-cueilleurs européens. Et, selon toute vraisemblance, certains chasseurs-cueilleurs sont devenus agriculteurs à leur tour.
Un aspect intéressant de ces rencontres a été apporté par l'ADN ancien : les populations de chasseurs-cueilleurs de l'Ouest européen étaient majoritairement de couleur de peau noire avec les yeux bleus, tandis que les nouveaux arrivants avaient la peau plus claire. Cette époque est en quelque sorte le miroir de la période actuelle, avec des autochtones européens de l'Ouest noirs qui se retrouvent en contact avec des individus plus clairs venus du Moyen-Orient.
Voilà pour l'Europe, qu'en est-il de l'est du Moyen-Orient ? Dans l'est du Croissant fertile, quatre individus exhumés de la chaîne montagneuse du Zagros, au centre de l’Iran, et datant de 10 000 ans ont pu être analysés. Ils se sont révélés génétiquement différents des agriculteurs de l'Anatolie. La diffusion de l'agriculture plus loin vers l'est, vers le Pakistan, l'Afghanistan et l'Inde, porte en revanche des traces génétiques des populations du Zagros. Cette pratique a donc voyagé vers l'est en même temps que des populations, de la même manière qu'à l'ouest ce sont des populations qui sont venues d'Anatolie vers l'Europe avec leurs nouvelles techniques. »
Léa Minod : Cette deuxième partie, elle est beaucoup plus didactique. On sent qu'elle a à cœur d'expliquer soigneusement son hypothèse, qu'elle dit démique. Est-ce qu'on peut revenir dessus ? Qu'est-ce que c'est que l'hypothèse démique ?
Olivier Coulon : C'est l'idée que les nouvelles pratiques culturelles, et aussi agriculturelles, sont arrivées avec les populations qui les avaient développées, c'est-à-dire que ce n'est pas juste un échange culturel, par des échanges commerciaux ou autres, on donne des objets ou des méthodes, des outils à des populations locales, mais là c'est vraiment le côté endémique.
Léa Minod : Du mélange, c'est ça ?
Olivier Coulon : Oui, voilà. Ce que j'aime beaucoup dans cette découverte, ces explications, c'est vraiment l'idée qu'il y a régulièrement des échanges. Il y a peut-être des populations, comme elle le dit bien, qui s'installent avec leurs méthodes d'agriculture donc on pourrait imaginer au départ que dans ces régions, cela repousse les chasseurs-cueilleurs un petit peu plus loin, puisqu’ils prennent un peu possession d'une partie du territoire en quelque sorte. Mais elle montre bien que, peu à peu, les échanges se font, les contacts se font et que potentiellement, effectivement, des chasseurs-cueilleurs se sont mis à l'agriculture. En tout cas, il n'y a pas de disparition, il n'y a pas de remplacement, mais plutôt à chaque fois des contacts qui, peut-être au début, ne sont pas très bien acceptés. Cela, on ne peut pas savoir, mais on voit bien que, peu à peu, les choses se passent, il y a un peu l'idée de créolisation ou de mélange qui va peu à peu s'imposer, au moins à ces époques-là, puisqu'on n'est pas encore à l'époque où on développe des états, des notions plus complexes sans doute.
Léa Minod : Des frontières ! Il n'y a pas de frontières à l'époque. Il y a donc cette idée de mélange et c'est cela qui est assez surprenant. On pouvait s'imaginer qu'à l'époque deux populations qui cohabitent chercheraient plutôt à s'exterminer entre elles, en tout cas à faire disparaître, comme cela a peut-être été le cas pour Néandertal. Et là, non, on voit que l'Homme se mélange et n'est que le fruit de mélange.
Olivier Coulon : Oui, tout à fait. Disons qu'effectivement par rapport à l'histoire moderne, on a envie de dire : « oh mon dieu, ça a dû être des fois assez violent ». Mais en fait qu'en était-il vraiment dans le passé ? C'est compliqué à dire. Je sais que des fois, les archéologues ou les paléoanthropologues trouvent des décors où on peut imaginer qu'il y a eu des blessures qui pouvaient être liées quand même à des phénomènes plutôt d'agression que d'accident, mais ce qui est clairement documenté, c'est que jamais il n’y a eu effectivement de massacre, de violence systématique. C'est ça aussi qui interroge, qui nous ramène à un passé, où je ne sais pas à quel point on peut le calquer sur nos mauvais penchants plus ou moins actuels, on va dire.
Léa Minod : D'ailleurs, en parlant de mauvais penchants, elle dit aussi qu'à l'époque, nous, Européens, on avait la peau noire, les yeux bleus, et elle remet en cause complètement les catégorisations raciales qui ont pu être faites ultérieurement ?
 
Olivier Coulon : Tout à fait, d'ailleurs je n’ai pas choisi ce passage, mais elle consacre un chapitre pour expliquer qu'il n'y a pas de race humaine. C'est ce qui est fascinant avec sapiens, c'est qu'il est très ubiquiste. Le crâne déjà, cela, les paléoanthropologues l’avaient repéré. Malgré l'énorme diversité d'apparence qu'on peut avoir entre tous les humains actuels, le crâne est vraiment systématiquement pratiquement le même, même si après, il y en a qui se sont amusés à les mesurer mais, on voit qu'ils tordent pas mal la réalité pour arriver à leur fin. On ne peut pas du tout voir cela sous cet angle, elle l'explique bien. Pour cette idée de diversité, elle montre juste la plasticité du sapiens alors qu'au niveau génétique, nous sommes apparemment extrêmement proches les uns des autres. Il y a très peu de variations. Apparemment, il y a plus de variations entre les différents individus chimpanzés, qui ont pourtant un génome de chimpanzé, qu’entre Homo sapiens. Il y a vraiment, au contraire, une sorte d'uniformité étonnante, même si, elle, après, va aller traquer les moindres petites différences pour tracer des rapports dans le passé, entre des migrations, etc. C'est très complexe et ce que j'apprécie assez, à mon échelle, c'est qu’elle ne rentre pas dans des détails trop techniques. Et j'avoue que moi, dans ma lecture, ce qui m'a apporté, c'est d'avoir l'histoire, le résultat qu'elle propose, bien que c'est son interprétation qui, globalement, est partagée quand même, mais elle ne rentre pas dans des détails trop techniques qui pourraient, au bout d'un moment, nous perdre, je pense.
Léa Minod : Pourquoi, vous l'avez choisi ce texte, vous qui êtes médiateur en science de la Terre ? Elle est où la science de la Terre là-dedans ?
Olivier Coulon : La science de la Terre, mais on pourrait mettre « sciences de la vie », au niveau scolaire on mélange sciences de la vie et de la Terre, ce qu’on appelle nous les géosciences dans notre département, c'est parce qu'on traite aussi bien du climat que de la géologie, les roches, mais aussi énormément les fossiles, donc tout ce qui va être paléontologie. Cela peut être les premiers insectes, les dinosaures, mais c'est aussi l'histoire humaine. Très vite, on a développé tout un pan d'exposés consacrés à l'histoire du genre humain, et ça m'a fait énormément plaisir de me plonger un peu là-dedans. Pour l'instant je l'évoque pas trop en exposé, parce que c'est presque trop récent par rapport à l'histoire qu'on raconte, mais c'est plus parce qu'on...
Léa Minod : … on parle de la géologie là c’est ça ?
Olivier Coulon : Oui, parce qu'en plus, on fait des exposés d'une heure. Dès qu'on touche à ce sujet, on pourrait faire deux heures. Les gens ont plein de questions parce qu'on a découvert des nouvelles espèces humaines avec la génétique qui a tout modifié. Avant, on avait des crânes, exclusivement ou presque, puis des outils... Maintenant on a des traces d'hybridation entre sapiens et Néandertal, plein de nouveaux concepts qui sont passionnants.
Léa Minod : Est-ce que Evelyne Heyer serait une bonne médiatrice, selon vous ?
Olivier Coulon : En tout cas, à la lecture de son livre, c'est pour ça que je l'ai choisi, oui. Elle explique quand même assez clairement comment elle arrive à ses déductions, c'est-à-dire à expliquer comment. Elle sait parler des types d'ADN, ce qui est assez connu dès qu'on est un peu là-dedans. Il y a l'ADN nucléaire dans le noyau des cellules et puis l'ADN mitochondrial, qui appartient à ces espèces de petites usines qui permettent la respiration dans nos cellules. L'ADN mitochondrial n'est transmis que par la mère à l'enfant, donc on trace une lignée qui est seulement une lignée féminine, alors que l'ADN nucléaire s’est transmis par le père et par la mère. On voit qu'il ne donne pas tout le temps les mêmes informations et elle explique bien des fois pourquoi il y a eu des conflits d'interprétation. Cela peut devenir très vite technique, mais c'est toujours quand même vraiment facile à lire et à comprendre. Pour moi, oui, c'est un livre de médiation, que je trouve vraiment réussi.
Léa Minod : [CONCLUSION] L'histoire de nos gènes est donc liée à notre statut d'animal social, pour reprendre la fameuse citation d'Aristote car oui, ce que l'on apprend ici, en regardant nos gènes à la loupe, c'est que l'Homme loin d'être un loup pour l'Homme a su se mélanger, de gré ou de force parfois, pour permettre l'émergence de nouvelles pratiques et de nouveaux savoirs. Une thèse qui a forcément fait bondir les milieux identitaires et néonazis en France à la sortie du livre, avec plusieurs articles parus en réaction au livre d'Evelyne Heyer. Pour d'autres plongées dans les « Sciences lues », c'est le nom de cette série, rendez-vous sur le site du Palais de la découverte et sur les plateformes de podcasts. Merci à Olivier Coulon, médiateur en sciences de la Terre au Palais de la découverte.
Olivier Coulon : Merci à vous, au revoir.
Arpenteuse du monde et détective de l’humanité, elle en a parcouru des kilomètres à la recherche d’un trésor infime ! Ni épice, ni tradition, ni langue… Il s’agit de nos gènes. C’est leur histoire que cherche à rembobiner l’anthropologue généticienne, Evelyne Heyer. Et c’est elle, ou plutôt son travail, qu’Olivier Coulon, médiateur en géosciences au Palais de la découverte, a choisi de nous faire découvrir.