Léa Minod (journaliste)  
Élise Schubert (médiatrice)  
Pauline Ziadé (lecture)
Laurent Blanpain (lecture)
Alexandre Héraud (lecture)
Xavier-Laurent Petit - Marie Curie (S2E10)
Liste des intervenants
- Léa Minod (journaliste)
 - Élise Schubert (médiatrice)
 - Pauline Ziadé (lecture)
 - Laurent Blanpain (lecture)
 - Alexandre Héraud (lecture)
 
Léa Minod : Elle a été première en beaucoup de choses. Première au certificat de fin d'études secondaires en Pologne, première à l'agrégation de physique en France. Première femme docteur ès sciences physiques à la Sorbonne. Première lauréate de la médaille Davy. Première prix Nobel. Première femme à entrer à l'Académie de médecine et première femme radiologue sur le front de la Première Guerre mondiale à l'aide de son bataillon d'ambulance qu'elle a conçu pour l'occasion et qui seront baptisées du nom de son mari les Petites Curies.
Son prénom ? Marie. Son nom de naissance ? Je vous laisse le prononcer, Élise Schubert, médiatrice en physique.
Élise Schubert : Sklodowska.
Léa Minod : Plus connu sous le nom de Marie Curie. C'est son histoire que vous nous invitez à reparcourir aujourd'hui.  
Bonjour Élise Schubert.
Élise Schubert : Bonjour.
Léa Minod : Alors, est-ce que vous pouvez nous rappeler pourquoi Marie Curie est célèbre aujourd'hui ?
Élise Schubert : Alors dans l'imaginaire des gens, elle est célèbre parce que c'est la première femme à avoir obtenu le prix Nobel, le prix Nobel tout court d'ailleurs.
Mais dans son cas, le prix Nobel en physique et elle a, elle a été très connue du grand public justement à cause des Petites Curie, les petites unités mobiles de radiologie qui allaient sur le front pendant la Première Guerre mondiale. Alors ces petites unités de radiologie, elles sont au nom d'elle et de son mari.
Ce n'est pas plus l'un que l'autre et ce n'est pas elle qui les a inventés, mais ils ont pris leur nom parce qu'elle a vraiment donné beaucoup, beaucoup, beaucoup de son âme et de son énergie pour faire fonctionner ces unités mobiles et essayer de sauver un maximum de personnes durant la guerre.
Léa Minod : Et qu'est-ce qu'elle a découvert Marie Curie ?
Élise Schubert : Marie Curie elle a découvert le radium. Et son travail, en tant que chercheuse, c'est pas du tout autour de la radiologie en tant que telle. Elle, elle était bien avant ça. Elle est dans les premières personnes à avoir parlé de radioactivité. C'est elle qui a inventé ce mot d'ailleurs, et son travail de thèse de doctorat, une des grandes choses qu'elle a réussi à faire durant sa thèse, c'est de purifier d'autres éléments radioactifs que l'uranium.
Léa Minod : L'uranium. C'était déjà connu. C'est ça ?
Élise Schubert : Voilà. L'uranium était déjà connu parce qu'on en trouve dans la nature relativement facilement. Donc il y avait déjà un certain Henri Becquerel qui avait découvert que cet uranium émettait quelque chose qu'il a appelé des rayons uraniques.
Et toute la question c'était y a t-il d'autres éléments, d'autres matériaux, qui émettent aussi ces rayons ? Et donc, durant sa thèse, Marie Curie, elle a purifié du radium pour réussir à obtenir du radium pur. Et ils ont aussi découvert du polonium avec son mari.  
Léa Minod : Le nom de polonium vient d'où ?
Élise Schubert : Le nom polonium, il a été donné en l'honneur de Marie qui est polonaise avant d'être française. Donc elle a la nationalité française aussi, mais au départ elle est polonaise et donc en l'honneur de son pays d'origine, ils ont appelé cet élément du polonium.
Léa Minod : Alors qu'est-ce qui différencie le radium du polonium, par exemple ?
Élise Schubert : Sa radioactivité. Le radium, c'est un élément extrêmement radioactif, beaucoup plus que le polonium encore.
Léa Minod : Et alors ? Quelles ont été les applications de ses découvertes ? Et quelles sont toujours les applications aujourd'hui ?
Élise Schubert : Les applications des découvertes de Marie Curie, comme souvent en science, elles ne sont pas directes, même si elles, ils ont pu très vite appliquer ses découvertes en médecine parce qu'ils se sont très vite rendu compte que les éléments radioactifs, si on les mettait sur de la peau par exemple, ils pouvaient brûler la peau de la personne.
Alors d'ailleurs, Pierre Curie a fait des expériences directement sur sa peau. Il s'est enduit la peau d'éléments radioactifs pour voir ce qui se passait et il s'est rendu compte qu'il se faisait littéralement brûler les bras avec ces éléments. Et ils se sont rendu compte que si ça pouvait brûler n'importe quel tissu, ça pouvait notamment brûler les tumeurs cancéreuses.
Et donc ça a très vite été utilisé pour soigner les cancers.
Léa Minod : Alors vous avez choisi un livre qui s'appelle Marie Curie. Elle a découvert l'énergie nucléaire, qui est un livre à destination des adolescents, paru à l'École des loisirs. Comment est-ce que vous êtes tombée sur ce livre ?
Élise Schubert : Bien, je suis tombée dessus à l'adolescence. En fait, c'est un bouquin qui m'a suivi depuis l'adolescence parce que quand je lisais, comme je lisais beaucoup, quand j'allais à la bibliothèque, je lisais tous les bouquins d'un auteur que j'appréciais. Et là, j'avais déjà lu d'autres livres de Xavier-Laurent Petit et comme ce livre, dans ma bibliothèque, était rangé dans les romans et pas dans les biographies avec les documentaires, et bien je me suis retrouvée à le lire comme les autres et c'est une des raisons pour lesquelles je suis partie à faire de la physique après, durant mes études.
Léa Minod : Avant, vous ne vous intéressiez pas aux sciences ?
Élise Schubert : Bah moi j'ai fait. J'ai fait du latin et du grec en fait, avant de faire de la physique à l'université. Donc j'ai un bac totalement littéraire, donc clairement c'est ce genre de biographies que j'ai pu lire durant mon adolescence qui m'ont poussée à aller voir autre chose. Oui.
Léa Minod : Et qu'est ce qui vous a fasciné dans cette vie ?
Élise Schubert : C'est assez incroyable tout ce qu'elle a pu faire. Elle part de sa curiosité sur comment ça marche le monde, puis en fait, elle fait les choses et puis, et puis elle arrive à découvrir des trucs assez incroyables, juste parce qu'elle est curieuse et qu'elle se demande ce qui se passe autour d'elle, et puis pourquoi ça se passe comme ça, etc.
Et, et moi je trouve ça assez inspirant en fait, l'idée que. Ben en fait, si on est juste simplement curieux du monde autour de soi, en fait, on peut, on peut en découvrir vraiment beaucoup et on peut aller très loin dans la compréhension du monde qui nous entoure.  
Léa Minod : Est-ce que ça vous a donné envie d'être curieuse aussi ?
Élise Schubert : Oui ben oui, ça fait partie de ce qui fait que justement, je me suis mise à m'intéresser à des choses qui ne m'avaient pas du tout posé des questions jusque-là.
Léa Minod : Alors dans le sous-titre, Marie-Claire rit donc le sous-titre, c'est Elle a découvert l'énergie nucléaire. Il y a déjà une imprécision, c'est ça ?
Élise Schubert : Oui, tout à fait.
Elle n'a pas du tout découvert l'énergie nucléaire. À cette époque-là, on ne savait même pas d'où venaient les rayons qui émanaient de la matière. On savait qu’il y avait quelque chose qui, à cette époque-là, s'appelait même des rayons uraniques. C'est elle qui a inventé le mot radioactivité quand elle s'est rendu compte que ce n'était pas que l'uranium qui émettait ses rayons, mais aussi d'autres matériaux.
Mais elle n'a pas du tout découvert l'énergie nucléaire. En fait, c'est difficile de dire que quelqu'un en particulier aurait découvert cette énergie. Et si quelqu'un l'a découvert, il faut attendre le moment où il construit une bombe atomique pour commencer à parler d'énergie nucléaire, véritablement. Et là, ça, c'est dans les années 1937. Sauf erreur.  
Léa Minod : Oppenheimer ?
Élise Schubert : Alors, c'est même après ça encore, c'est Enrico Fermi et un autre monsieur dont je ne me rappelle plus du nom, qui ont vraiment réussi à gérer cette énergie pour créer une bombe parce que tout le problème, c'est de réussir à faire en sorte que la bombe ne vous explose pas dans les mains et donc pouvoir parler d'énergie nucléaire. Ben c'est beaucoup trop tôt et en tout cas, elle a pas du tout travaillé là-dessus.
Léa Minod : Alors où est-ce qu'on en est dans le livre et dans sa vie au moment de l'extrait que vous avez choisi ?
Élise Schubert : Alors l'extrait se passe au moment où elle a fini de purifier son radium. Elle a réussi à obtenir du radium pur pour la première fois comme elle le faisait alors c'est du gros œuvre. Vous prenez des tonnes de cailloux, vous les concassez en petits bouts, en poussière. Et ensuite ? Et elle devait dissoudre ces poudres de cailloux jusqu'à réussir à obtenir le radium pur.
Donc c'est principalement de la chimie, en fait, plus que de la physique. Et donc elle a, elle a réussi à isoler son radium et au début de l'extrait, elle défend sa thèse de doctorat sur les recherches sur les éléments radioactifs.  
Léa Minod : Alors on plonge dans la vie de celle qui en a eu mille.
Pauline Ziadé : 25 juin 1903
À la Sorbonne, la « salle des étudiants » est pleine à craquer. Au point qu’il faut rajouter des chaises ! Pour la première fois, une femme va devenir docteur ès science. Cette femme, c’est Marie. Ou plutôt Marie Slodowska-Curie, comme elle signe sa thèse.
Il y a là des scientifiques, des étudiantes de l’École normale, des amis, sa sœur Bronia et quelques curieux venus assister à « l’événement ».
Marie s’avance, un peu raide. Pour l’occasion, elle s’est même acheté une robe neuve, ce qui est déjà une petite révolution. La voix tendue, elle expose ses « Recherches sur les substances radioactives », explique ses travaux, parle de ses résultats et répond aux questions des trois examinateurs. Il n’y a aucun doute : dans le domaine de la radioactivité, Marie en sait largement plus qu’eux ! Après une courte délibération, le président du jury se lève.
Laurent Blanpain : Madame, l’Université de Paris vous accorde le titre de docteur ès sciences physiques, avec la mention « très honorable ».
Pauline Ziadé : Marie est parvenue au but qu’elle s’était fixé.
Le soir même, les Curie invitent chez eux quelques amis. La petite Irène en profite pour se glisser sur les genoux de sa mère. Elle a cinq ans et, depuis qu’elle est née, Marie a accordé plus de temps au radium qu’à sa fille. Heureusement, le père de Pierre, le vieux docteur Curie, veille au grain. Depuis la mort de sa femme, quelques jours à peine après la naissance d’Irène, il consacre tout son temps à sa petite-fille.
Un dernier invité arrive, un peu essoufflé et plutôt en retard. Il n’a pas pu assister à la cérémonie, mais il vient de si loin qu’on lui pardonne. C’est Ernest Rutherford qui déboule de son lointain Canada. « Un garçon du tonnerre ! » assurent ses amis. Et aussitôt la discussion s’engage sur la radioactivité…
La nuit tombe, il fait très doux.
Et si nous allions dans le jardin, propose Marie.
Pierre n’attendait que cela. Il sort de sa poche un petit tube empli d’une solution de radium qui, au cœur de l’obscurité, lui doucement de son éclat bleuté. Chacun regarde en silence.
Alexandre Héraud : C’est la lumière du futur, murmure Pierre au bout d’un moment.
Léa Minod : Dans ce premier extrait, on entend qu'il y a l'idée répandue que c'est la première femme docteur ès sciences. Est-ce que c'est vraiment le cas ?
Élise Schubert : Alors, ce n'est pas la première femme docteur ès sciences en France. Il y a déjà beaucoup d'autres femmes qui ont eu un doctorat en science avant, notamment énormément de femmes médecins.
Mais c'est la première docteur ès sciences physiques en France, ça oui. C'est la première à avoir un doctorat en physique à la Sorbonne.  
Léa Minod : L'auteur écrit aussi qu'elle insiste pour signer sa thèse avec son nom de naissance apposé à son nom de mariage. Pourquoi est-ce que c'était important pour elle de conserver son nom de jeune fille ?
Élise Schubert : Alors ça, je ne peux pas répondre précisément parce que je n'ai pas la réponse véritable. Pourquoi elle l'a fait ? Mais elle, elle est polonaise avant d'être française. C'est important pour elle cette double nationalité et elle travaille tout le temps main dans la main avec Pierre Curie, son mari. Ils travaillent vraiment en collaboration tous les deux. Mais là, c'est son travail de doctorat, c'est sa thèse de doctorat à elle et je pense que ça fait partie de pourquoi c'est important pour elle d'être, d'être avec son nom à elle complet. Mais je ne peux pas m'avancer trop loin là-dessus. C'est plus une interprétation qu'une vérité scientifique.
Léa Minod : Parce que quelle relation elle entretient avec son mari dans le travail ? Est-ce que c'est une relation vraiment de collaboration ? Est-ce qu'il y a de la compétition entre eux ?
Élise Schubert : Non, ils ne sont pas du tout dans un système de compétition. Ils sont vraiment deux collaborateurs. Alors, Pierre, il est un peu plus âgé qu'elle. C'est lui qui a inventé les instruments de mesure qui vont utiliser notamment qu'elle va utiliser durant sa thèse. Mais en fait, ils travaillent vraiment main dans la main. Quand on regarde les notes de laboratoire qu'ils ont, qu'ils ont laissées derrière eux, les deux écritures se mêlent tout le temps, ils travaillent vraiment ensemble et tout le laboratoire vraiment fonctionne avec les deux en même temps. Donc ils ont vraiment une place autant importante l'un que l'autre et c'est quelque chose qui ressort régulièrement, qui est souvent mis un peu sous le tapis parce que Marie Curie, en tant que première femme, prix Nobel française, tout ça, elle est souvent mise en héroïne de la science. Et il y a souvent tendance dans les biographies à ce que Pierre Curie soit un peu effacé pour laisser la place à la grande Marie Curie. On ne peut vraiment pas le faire en fait, parce qu'ils ont vraiment collaboré d'égal à égal.
Léa Minod : Oui, sauf que lui et meurt accidentellement, tragiquement peu de temps après.
Élise Schubert : En fait, ils ont quand même eu le temps d'avoir un prix Nobel ensemble. Ils ont quand même eu le temps de faire quand même bien des choses intéressantes. Pierre Curie a bien participé aussi. Après, c'est sûr que sur la suite de ses recherches, Marie Curie travaille sans son mari. Donc elle a, elle a d'autres personnes avec qui elle va collaborer. Et là c'est sûr que le deuxième prix Nobel qui est là, il est en son nom propre. Mais c'est important quand même de redonner une place à Pierre parce qu’il la mérite aussi.
Léa Minod : Donc Pierre meurt, je précise, écrasé par une calèche à Paris. 
Alors on entend ici le style de l'auteur qui est assez direct, assez franc. Il ne sait pas sur les sentiments. Est-ce que cette manière d'écrire ressemble ou pourrait ressembler au caractère de Marie Curie ?  
Élise Schubert : Alors Marie Curie, on a peu d'informations sur comment elle se comportait ou autre, parce que dans tous les écrits qu'on a, ce sont des écrits, des discours publics, des notes de laboratoire, pas des endroits où on va mettre de l'émotion ou quoi que ce soit. 
Mais par contre, c'était quelqu'un qui était très tendre et aimé. En fait, autour d'elle, les lettres qu'elle écrit à ses filles sont vraiment... Enfin, ce n'est pas un robot, c’est une femme qui est normale quoi. Absolument normale sur la façon de vivre, etc.  
Léa Minod : Pourtant, il paraît qu'elle notait dans son journal intime les progrès très factuels de sa fille qui se met à marcher, qui perd une dent, etc. Sans s'étaler sur ses sentiments.
Élise Schubert : Oui, mais ça, c'était dans un sens un cahier de laboratoire comme un autre. C'était une femme assez discrète, mais on ne peut pas dire grand-chose en fait sur la façon dont elle se comportait. Sauf que clairement, elle était vraiment appréciée des gens de son laboratoire. Elle était vraiment appréciée dans sa famille, elle avait un grand et elle avait un grand cercle social.
En fait, ce n'est pas une antisociale quoi.  
Léa Minod : Et on entend aussi qu'elle accorde plus de, plus de temps au radium qu'à sa fille. Elle fait défaut à sa fille, elle manque à sa fille sa première fille donc Irène.
Élise Schubert : Eh oui, ben alors ça oui, elle et son mari ont passé un temps incroyable à travailler effectivement, et peut-être moins de temps à certaines périodes de leur vie à s'occuper de leurs enfants. Ce qui ne veut pas dire qu'ils aient eu de mauvaises relations, au contraire. D'ailleurs, Irène va prendre la suite de Marie, elles, elles vont travailler, elles vont collaborer ensemble dans leur laboratoire.
Léa Minod : Elle a aussi reçu un prix Nobel en 1935 la fille, Irène.
Élise Schubert : Tout à fait, tout à fait avec, sauf erreur, avec son mari Frédéric Joliot, Irène Joliot-Curie et Frédéric Joliot vont recevoir un prix Nobel aussi.
Donc elle va prendre le flambeau de ses parents.  
Léa Minod : Alors on entend et vous en avez parlé, Ernest Joseph Ford Rutherford, comme on peut le prononcer, qui déboule de son lointain Canada. Qu'est-ce que c'est comme symbolique qu'a un personnage aussi éminent, un chercheur aussi savant vienne voir Marie Curie au moment au moment de sa thèse ?
Élise Schubert : En fait, Rutherford, c'est la grosse tête de la radioactivité à cette période-là.
Il est extrêmement connu, il vient du Canada. Pour l'écouter à l'arrivée, trop tard pour l'écouter. Il arrive trop tard, malheureusement. Mais le fait qu'il vienne enfin, ça montre combien les travaux de Marie Curie sont importants et combien ce qu'elle est, ce qu'elle a fait dans sa thèse de doctorat est important. Lui, trois ans plus tard, il va avoir le prix Nobel pour justement avoir compris, qu'est-ce qui se passe quand on a le prix Nobel de chimie, pour expliquer comment il y a les désintégrations radioactives se passe au niveau chimique. Donc c'est vraiment une grosse tête de l'époque.  
Léa Minod : Si on se penche un peu plus sur la thèse qu'elle expose, son titre est indiqué, c’est « Recherches sur les substances radioactives ». Quelles sont les principales découvertes de cette thèse-là en particulier ?
Élise Schubert : Alors, elle va principalement s'attacher, dans sa thèse, à décrire, à purifier plusieurs éléments, dont notamment principalement le radium, à décrire ce radium, décrire ses propriétés physiques et ses propriétés radioactives. Donc ça va être ça le gros point de sa thèse.
Léa Minod : À la fin de l'extrait, Pierre tient à un morceau de radium dans sa main qui écrit, qui luit doucement de son éclat bleu bleuté dans l'obscurité.
Il y a quelque chose quand même de vertigineux de tenir une matière aussi radioactive, sans peur, sans précaution. Où est-ce qu'on en est à l'époque de...
Élise Schubert : Ben, justement, justement, tout le point, c'est qu'à cette époque-là, on ne sait pas que c'est dangereux. En fait, à l'époque, on en est au stade où on voit que ça a des propriétés étonnantes. Ils commencent à se rendre compte que ça peut avoir des effets sur le corps. Ils se rendent compte, ils sont très fatigués. C'est une période où ils sont extrêmement fatigués. Ils tombent tout le temps malades, Pierre et Marie. À cette époque, Pierre va se mettre à faire des expériences bizarres où il va s'enduire de substances radioactives pour voir quel est l'effet sur sa peau. Il va se rendre compte que ça le brûle littéralement et il se fait brûler par les substances radioactives. Donc il commence à voir qu’il y a quelque chose de pas tout à fait anodin sur ces substances radioactives, mais en fait, on ne sait pas encore quels sont les dangers. Et en fait, on va se rendre compte que ça peut permettre de guérir des tumeurs avant de se rendre compte que ça peut aussi tuer. Donc on va d'abord commencer à trouver les côtés curatifs de la radioactivité avant de trouver les côtés néfastes. D'où la grosse mode qui va arriver de mettre des éléments radioactifs dans plein de produits de tous les jours.
Léa Minod : La crème pour le visage, dans de la laine pour les bébés.
Élise Schubert : Dans du rouge à lèvres, tout ça dans l'idée de vous donner plus d'énergie pour être plus radieux, pour irradier, pour irradier de bonne santé, etc.
Exactement.  
Léa Minod : Et ça marche ou pas ? Est-ce qu'on irradie quand on se met des produits comme ça ?
Élise Schubert : Non, on n'irradie pas. Par contre, typiquement le rouge à lèvres au radium va irriter la peau et donc on va avoir les lèvres plus rouges parce qu'elles sont irritées. Par contre, très très très très mauvaise idée. On en meurt. Il ne faut pas faire ça.
Léa Minod : Alors on poursuit la lecture. Cinq mois après la soutenance de sa thèse.
Pauline Ziadé : Une quarantaine d’années plus tôt, en 1866, un chimiste suédois, Alfred Nobel, a inventé une substance qui est aussitôt devenue indispensable : la dynamite. Qu’il s’agisse de bâtir des routes, de percer des tunnels, de creuser des canaux ou d’exploiter des mines, partout on utilise la dynamite. Et en quelques années, monsieur Nobel est devenu riche. Très riche ! Propriétaire d’une soixantaine d’entreprises, actionnaire de puits de pétrole en Russie, il était à la tête d’une immense fortune. À sa mort, en 1896, il a exigé dans son testament que tous ses biens soient consacrés à récompenser chaque année les auteurs d’importantes découvertes en médecine, physique et chimie, mais également les auteurs d’une œuvre littéraire remarquable et les personnalités qui auront contribué à l’établissement de la paix. Ce sont les prix Nobel. Les tous premiers seront décernés en 1901.
Novembre 1903
Le télégraphiste sonne à la porte de la petite maison de Marie et Pierre, 108, boulevard Kellermann.
Alexandre Héraud : Monsieur Curie ?
Pauline Ziadé : Pierre hoche la tête. L’homme fouille dans sa sacoche.
Alexandre Héraud : Un télégramme pour vous.
Pauline Ziadé : Pierre lui glisse une pièce et, intrigué, regarde le nom de l’expéditeur : Académie suédoise des Sciences. Stockholm.
AI HONNEUR DE VOUS COMMUNIQUER ACADÉMIE DES SCIENCES DÉCERNE PRIX NOBEL PHYSIQUE À VOUS ET MADAME CURIE POUR MOITIÉ AVEC H. BECQUEREL. LETTRE SUIT. FÉLICITATIONS.
PROF. AURIVILLIUS. SECRÉTAIRE PERPÉTUEL.
Léa Minod : Dans l'extrait qu'on vient d'entendre, l'auteur fait un petit détour pour expliquer l'origine du prix Nobel et cest assez étonnant parce que la dynamite, c'est un peu comme le radium, c'est à double tranchant, c'est-à-dire que ça peut permettre de creuser des tunnels, mais ça peut aussi détruire des vies et quantité de vies. Est-ce qu'il y a souvent cette dichotomie dans les découvertes scientifiques qu'on fait ?
Élise Schubert : C'est une question vache. Ben oui et non. Non, pas forcément. Je pense que sur la quantité et sur la somme de découvertes, non. En moyenne, la majeure partie des découvertes n'est pas autant mauvaise que bonne. Mais. Mais c'est sûr que toute chose, toute découverte qui a un lien avec de l'énergie, de la puissance peut être autant utilisée pour un côté positif que négatif.
Et c'est le cas pour autant la dynamite que les éléments radioactifs effectivement pour ça.  
Léa Minod : Dans le paragraphe qui parle de monsieur Nobel, l'auteur dit qu'il est devenu riche, très riche. Est-ce que Marie Curie, elle est devenue riche, très riche ?
Élise Schubert : Pas du tout. Parce que Alfred Nobel, il a déposé un brevet pour sa dynamite et donc toute personne produisant de la dynamite lui devait des royalties. Donc il est devenu riche grâce à ça. Alors que Pierre et Marie Curie voulaient que leurs découvertes restent dans le bien commun et donc ils n'ont pas posé de brevet pour faire le radium. S'ils avaient déposé un brevet pour faire le radium, ils seraient devenus multimillionnaire au moins autant qu'Alfred Nobel. Parce que réussir à extraire du radium ce qu'elle a fait pendant sa thèse, c'est un travail de titan et c'est extrêmement compliqué.
C'est hyper dur à faire. Donc en fait, après tout ce qu'elle va faire comme recherche plus tard, si elle va beaucoup s'intéresser à tout le côté des applications médicales du radium, c'est notamment pour pouvoir financer le reste de ses recherches parce que ça lui permet d'obtenir des fonds. Et en fait, réussir à obtenir quelques grammes de radium, c'est extrêmement compliqué à cause du prix. Et donc elle va vraiment utiliser et elle va utiliser les côtés positifs de ses découvertes pour pouvoir récupérer les sous qu'elle n'a pas parce qu'elle n'a pas posé de brevet pour ça.  
Léa Minod : Mais pourquoi ? C'est par pure philanthropie ? Ses découvertes ne servaient que la science.
Élise Schubert : Oui je crois que c'est vraiment par pure philanthropie. C'est vraiment parce qu'ils n'étaient pas dans une démarche pour faire des sous. Ils étaient vraiment dans une démarche de science et de recherche fondamentale et leur but, c'était de faire que la connaissance puisse s'augmenter le plus possible. Eh bien si vous mettez un brevet, vous empêchez des gens de pouvoir travailler. Donc en fait, si vous voulez pouvoir avoir un maximum d'avancées scientifiques, vous ne mettez pas de brevets sur vos inventions, sur vos découvertes.
Léa Minod : Alors monsieur Nobel, il a été quand même sympathique puisque cet argent, il a redonné ensuite à travers des prix en 1901 et là on est en 1903, donc à peine deux années après l'invention du prix Nobel. Aujourd'hui, quand on dit prix Nobel, ça a une certaine notoriété mondiale. Mais est-ce qu'à l'époque c'était quelque chose de recevoir un prix Nobel ?
Élise Schubert : Oui, c'était déjà une vraiment grande distinction. C'était déjà vraiment quelque chose de très très, très positif. Donc oui, ils ont été très flattés de l'obtenir.
Léa Minod : Il y avait très peu de scientifiques qui avaient reçu ce prix Nobel ?
Élise Schubert : Oui, c'est vrai, mais le prix était non négligeable. C'était beaucoup d'argent, c'était beaucoup d'argent et ils cherchent toujours à valoriser des découvertes majeures de personnes encore en vie. Et en fait, il a assez bien réussi à choisir. Enfin, les personnes qui ont, qui font partie de la Fondation Nobel ont assez bien choisi leur prix pour que la notoriété était immédiate. Et donc oui, même en 1903, avoir le prix Nobel, c'est vraiment quelque chose d'assez extraordinaire.
Léa Minod : Et on peut entendre là le télégramme « Ai l'honneur de vous communiquer, Académie des sciences… », il est adressé à Pierre Curie « vous et Madame Curie ». Il est aussi partagé avec Henri Becquerel. Pourquoi est-ce qu'on a fait un prix Nobel à trois ?
Élise Schubert : Alors c'est régulièrement le cas que les prix Nobel ne sont pas pour une seule personne. En général, on le partage entre des personnes qui ont des rapports à peu près égaux sur plusieurs sujets connexes. Typiquement ici, Henri Becquerel a découvert les rayons uraniens et donc c'est lui qui a, qui a commencé la découverte de la radioactivité. Et Pierre et Marie Curie ont identifié ce que c'était que cette radioactivité identifiée, qu'il n'y avait pas que l'uranium qui émettait ces rayons. Et inventé ce mot de radioactivité. Donc c'est pour ça qu'ils ont le prix Nobel commun, les trois.
Léa Minod : Et ce n'est pas le seul prix Nobel que Marie Curie recevra ?
Élise Schubert : Non, elle va en recevoir un deuxième plus tard à son nom propre en chimie.
Léa Minod : En 1911.
Élise Schubert : Oui, c'est tout à fait.
Léa Minod : En 1911, cette fois-ci, c'est à titre individuel qu'elle reçoit ce prix Nobel, ce qui est aussi une première. C'est la première femme à recevoir le prix.
Élise Schubert : Tout à fait. Et sauf erreur, la seule personne à avoir reçu deux prix Nobel en physique et en chimie. Elle a quand même fait de grosses avancées en physique, donc ce n'est pas pour rien qu'elle est connue.
Léa Minod : Ça aurait été un rêve pour vous d'avoir un prix Nobel ?
Élise Schubert : Non. Ah non, absolument pas.
Léa Minod : Pourquoi ?
Élise Schubert : Parce que je n'aime pas assez la recherche pour ça. Je préfère diffuser la recherche que la faire moi-même.
Léa Minod : Eh bien c'est ce que vous avez parfaitement fait aujourd'hui. Merci beaucoup Élise Schubert.
Élise Schubert : Merci.
Léa Minod : Après la Première Guerre mondiale, en 1921 à New York, Marie Curie recevra dans ses mains un gramme de radium pur de la part du président Hoover, suite à une souscription lancée parmi les femmes américaines. Des mains qui, à la fin de sa vie, paraît-il, brillaient dans le noir à force d'avoir manipulé la matière radioactive. Marie Curie s'éteindra, si l'on peut dire, en 1934, à l'âge de 66 ans, atteinte d'une leucémie. En 1995, son corps est transféré au Panthéon et inhumé dans une sépulture plombée pour éviter tout risque de radiation résiduelle. Elle y est une fois encore la première : première femme à y être honorée pour ses propres mérites.
Elle a été première en beaucoup de choses. Première au certificat de fin d'études secondaires en Pologne, première à l'agrégation de physique en France, première femme doctoresse en sciences physiques à la Sorbonne, première lauréate de la médaille Davy, première prix Nobel, première femme à entrer à l'Académie de médecine et première femme radiologue sur le front de la Première Guerre mondiale à l'aide de son bataillon d'ambulance qu'elle a conçu pour l'occasion et qui seront baptisées du nom de son mari les « petites Curie ». Son prénom ? Marie. Son nom de naissance ? Skłodowska. Plus connue sous le nom de Marie Curie.
C'est son histoire qu'Élise Schubert, médiatrice en physique au Palais de la découverte, nous invite à reparcourir.