Helen O'Connell - Publications scientifiques sur le clitoris (S2E6)
Liste des intervenants
- Alexandre Héraud (voix off)
- Léa Minod (journaliste)
- Élodie Touzé (médiatrice)
- Audrey Stupovski (lecture)
Léa Minod : On a longtemps cru qu'il n'était que la partie émergée de l'iceberg : le clitoris ! Seul organe dédié au plaisir dans le corps humain, il a été réduit comme peau de chagrin à un petit gland à partir du XIXe siècle, jusqu'à même disparaître. Helen O'Connell, urologue australienne, peut le confirmer. Son manuel scolaire faisait la part belle à l'anatomie et à l'alimentation vasculaire du pénis, sans jamais mentionner le clitoris. Voilà qui n'est vraiment pas juste, car beaucoup de femmes ont longtemps ignoré ce qu'il y avait entre leurs jambes et cela vaut le coup de l'étudier. C'est pourquoi, au tournant du XXIe siècle, Helen O'Connell publie une série d'articles scientifiques restituant les recherches qu'elle a menées sur l'anatomie du clitoris. Et c'est donc dans ces découvertes clitoridiennes que nous propose de plonger aujourd'hui Élodie Touzé, médiatrice en sciences de la vie du Palais de la découverte. Bonjour Élodie.
Élodie Touzé : Bonjour Léa.
Léa Minod : On a dit que Helen O'Connell était une urologue, mais qui était-elle exactement à part une urologue ? Vous le savez ou pas ?
Élodie Touzé : Helen O'Connell, de ce que je sais et c’est ce que j'aime dans cette histoire, c'est la première femme urologue australienne.
Léa Minod : C’est-à-dire qu’il n'existait pas de femmes qui faisaient ce métier ?
Élodie Touzé : C'est la première femme à être urologue en Australie.
Léa Minod : Pourquoi ?
Élodie Touzé : Alors ça, je ne sais pas. Il faudrait aller chercher dans les études sociologiques. Une femme chirurgienne, peut-être que ça peut avoir une influence. Ce que j'aimerais raconter d'elle aussi c'est qu'elle a déjà une conscience politique, un regard assez aigu et critique de l'ensemble des travaux qui sont déjà présents à son regard. Elle a quelque chose d'assez ancré et d'assez combatif, déjà, à la base, voilà ce que je peux dire de la présentation de cette femme, qui est complètement ancrée dans sa société et dans l'état actuel des connaissances au moment où elle fait ses études.
Léa Minod : À qui s'adresse le texte que vous avez choisi, qui s'appelle « Clitoral anatomy in nulliparous. Healthy, premenopausal volunteers using unenhanced magnetic resonance imaging ». Pouvez-vous déjà me traduire ce titre-là ?
Élodie Touzé : Alors « Clitoral anatomy in nulliparous » cela veut dire « l'anatomie clitoridienne chez les femmes nullipares », c'est-à-dire les femmes qui n'ont jamais eu d'enfants, « healthy » qui sont en bonne santé, « premenopausal » qui n'ont pas encore été en état de ménopause, volontaires, et en utilisant l'imagerie par résonance magnétique, c'est-à-dire l'IRM. C'est un article qui, comme on peut s'en douter, est dirigé vers une communauté scientifique et médicale qui est extrêmement restreinte, ce n’est pas un article qui est dédié à une vulgarisation quelconque.
Léa Minod : Et vous, comment êtes-vous tombée dessus ?
Élodie Touzé : Je suis tombée dessus un petit peu par militantisme et par positionnement, parce que, dans notre métier, on est aussi des humains qui faisons des choix. Je suis tombée dessus en travaillant sur l'exposition « De l'amour » qui a été accueillie au Palais de la découverte et en étant impliquée dans l'équipe de conception. Pendant ce moment-là, on sonde l'ensemble des sujets qui peuvent être potentiellement intéressants dans une exposition et, en parallèle, je vais à un spectacle. Je vais voir une artiste féministe qui s'appelle Noémie Delattre et qui présente l'anatomie du clitoris en 3D. C'est la première fois que je vois ça de ma vie.
Léa Minod : Comment ça ? Vous n'aviez pas conscience de la taille réelle du clitoris ?
Élodie Touzé : C'est la première fois que je vois un clitoris, alors que je suis médiatrice en biologie, que j'ai fait des études de biologie, j'ai fait deux ans de médecine et je n’ai jamais vu ça. Puis il y a quelque chose qui se coordonne à ce moment-là dans ma tête et je me dis : c'est ton métier et tu dois le faire !
Léa Minod : Oui, parce que de quand date l'apparition du clitoris dans les manuels scolaires en France ?
Élodie Touzé : Le premier manuel scolaire à publier le clitoris c'est en 2017.
Léa Minod : Donc c'était il n’y a pas longtemps.
Élodie Touzé : Oui, c'était il y a six ans ! Il y en a un seul qui publie, et aujourd'hui, en 2023, il y en a deux.
Léa Minod : D'accord. Et quand vous dites « qui publie l'anatomie du clitoris », on est d'accord que c'est dans sa partie émergée comme dans sa partie immergée ?
Élodie Touzé : Voilà, et qui publie l'anatomie du clitoris dans sa version correcte, scientifiquement correcte.
Léa Minod : Peut-on rappeler ce qu’est cet organe, le clitoris ?
Élodie Touzé : Le clitoris, c'est un organe qui a, en effet, une partie immergée et émergée. La partie émergée, c'est-à-dire visible, c'est ce qu'on appelle le gland, qui va être situé à l'intersection des petites lèvres de l'appareil génital féminin. Et puis, il y a une grande, grande, grande partie immergée, qui était jusqu'alors inconnue et qui commence à être vulgarisée aujourd'hui, qui est constituée de plusieurs sous-unités, mais qui sont extrêmement importantes, qui sont constituées de piliers, de bulbes et qui vont s'enchevêtrer comme un cheval au niveau de l'orifice du vagin.
Léa Minod : De quoi est constitué le clitoris ? Est-ce que c'est comme le pénis, des corps caverneux qui se gorgent de sang ?
Élodie Touzé : Absolument, les travaux d'Helen O'Connell vont faire un peu office d'une revue de ce qui a déjà été découvert, mais vont aussi se centrer sur un certain nombre de découvertes et d'études notamment des études histologiques, c'est-à-dire l'étude de la nature des tissus. Elle va mettre en évidence que le clitoris est fait aussi de corps caverneux, aussi de corps spongieux, tout comme le pénis. Elle va mettre en évidence qu'on a une analogie de structures de tissus qui va faire référence au fait qu’il y a aussi une analogie dans le développement embryonnaire.
Léa Minod : C'est-à-dire que même à un stade précoce, on ne peut pas distinguer les organes génitaux féminins et masculins ?
Élodie Touzé : Si on regarde une échographie d'un fœtus à deux mois, on va se rendre compte que l'appareil génital n’est pas du tout différencié. On ne va pas pouvoir faire la différence entre un garçon et une fille parce que l'appareil génital va vraiment pas du tout être différencié, c'est-à-dire pas du tout être « spécialisé ».
Léa Minod : Et pourtant, on demande de plus en plus tôt à connaître le sexe de l'enfant... Comment fait-on ?
Élodie Touzé : Eh bien on le fait à partir de cinq mois, là où les tissus commencent à se « spécialiser » et où on va avoir des structures. Les structures communes vont commencer à se développer et à se différencier du côté garçon ou du côté fille. Ce qu'il faut savoir aussi, c'est qu'en biologie, comme dans tous les organes qui sont développés, on a une certaine diversité, une certaine multiplication des possibilités. Nous, on connaît, en tant qu’humain social, deux sexes, mais en fait en biologie, il y a beaucoup plus de sexes que ce qu'on croit. Dans le développement de l'appareil génital, on a une sorte de panel qui va aller du complètement fille au complètement garçon, et avec une palette de possibilités entre les deux.
Léa Minod : En quoi ce texte, plus que n'importe quelle autre publication d'Helen O'Connell, vous a attirée ?
Élodie Touzé : Il y a plusieurs raisons pour lesquelles j'ai choisi ce texte, mais la toute première, c'est que, moi, j'ai l'habitude de lire un certain nombre de publications scientifiques en anglais et c'est souvent très technique, ça va souvent se cibler sur le sujet. On va vraiment avoir un ton qui va seulement se restreindre à des données scientifiques. Ce que j'aime beaucoup dans cette publication c'est que dans la conclusion, dans la discussion, Helen O'Connell va vraiment parler d'un positionnement politique, social et historique qui va être aussi le fruit de ses recherches. Si elle s'intéresse à l'anatomie du clitoris, elle va évidemment aller chercher dans l'ensemble des travaux précédents et cela va lui permettre de se plonger dans l'histoire des sciences, dans l'histoire politique et sociale des travaux qui ont été faits précédemment. Cela va lui donner aussi cette conscience politique et sociale qui lui permet de se positionner par rapport à ces travaux, de façon extrêmement puissante.
Léa Minod : On écoute justement ce positionnement d'Helen O'Connell dans cet article au sujet du clitoris.
Audrey Stupovski (lecture) : « Les études IRM du clitoris complètent les études précédemment effectuées sur des cadavres et révèlent l’anatomie de femmes nullipares en bonne santé, avant la ménopause. Aucune différence majeure apparente n’a été notée entre les données issues des cadavres et celles obtenues par IRM, bien que pour celles issues des cadavres les structures semblaient être atrophiées, comme on pourrait s’y attendre en raison de l’âge avancé de la plupart des spécimens et pour d’autres raisons.
Les facteurs historiques, sociaux et scientifiques semblent être responsables de la mauvaise présentation anatomique clitoridienne, même dans les manuels scolaires actuels. La suppression active du clitoris comme une structure étiquetée d’une version antérieure du Gray’s Anatomy comparée aux versions suivantes indique l’influence des facteurs sociaux sur la science.
La profession médicale a également eu une influence majeure sur la sexualité féminine tout au long de l’histoire, en particulier au XIXe siècle. La pratique généralisée en médecine occidentale de la clitoridectomie pour des indications aussi diverses que l’épilepsie, l’hystérie et la catalepsie est relativement récente. En plus de ces facteurs, les anatomistes ont aggravé le mauvais étiquetage de l’anatomie clitoridienne en ne le représentant que sur un plan. Alors que le plan sagittal peut convenir à la représentation d’une structure essentiellement linéaire telle que le pénis, le clitoris n’est pas correctement représenté dans ce plan. Le plan axial est le plus approprié. Grâce à son mode multiplanaire, l’IRM révèle chaque composant du clitoris et complète les informations obtenues lors de la dissection. »
Léa Minod : Élodie Touzé, si on revient au premier paragraphe, il s'agit d'études IRM du clitoris. En quoi cette imagerie médicale permet une vision globale du clitoris, alors qu'avant ce n'était pas possible ?
Élodie Touzé : L'IRM va travailler sur l'image comme si on coupait, alors évidemment on ne coupe pas, mais comme si on coupait la personne sur un certain plan. On va pouvoir superposer l'ensemble de ces images de façon à restituer une image en 3 dimensions. Quand on fait une dissection, ce sont des travaux qui vont pouvoir se compléter. Quand on fait une dissection, on va pouvoir avoir cette image globale, extérieure et quand on va faire un IRM, on va pouvoir voir l'intérieur et l'extérieur de cet organe. Ce que cela donne aussi comme information, c'est que, en 2005, il y a zéro « vraie » image du clitoris. On est sur une technique de pointe qui va permettre aussi de donner une certaine puissance à l'ensemble de ces travaux et de revendiquer sa présence, pas seulement sur une question d'image. En fait, Helen O'Connell va travailler à la fois sur une question de vulgarisation, sur une question d'objectivité et aussi sur une question technique qui lui permet d'être vraiment présente sur la scène scientifique.
Léa Minod : On se rend compte de la taille du clitoris à ce moment-là, peut-être ?
Élodie Touzé : On se rend compte de la taille du clitoris, peut-être un peu avant, mais la vraie différence ici, c'est qu'on va travailler sur des personnes vivantes. C'est ça la grande nouveauté, c'est qu'avec les dissections, évidemment, on va travailler sur des cadavres. L'IRM permet d'observer un organe qui est en train de vivre sur des vrais gens, d'avoir une étude réelle du fonctionnement d'un organe actif sur une population qui est visible, vivante, où l'organe est un petit peu en plein essor de sa vie.
Léa Minod : Quelle est la taille du clitoris ? À peu près ?
Élodie Touzé : En moyenne, on est à douze centimètres, qui va de l'extrémité du gland jusqu'à l'extrémité du pilier. Si on fait un grand chemin...
Léa Minod : Le pilier ?
Élodie Touzé : Alors pour le clitoris, on peut s'imaginer un peu un papillon ou une sauterelle, c'est comme vous voulez, ah non tiens, une mante religieuse ! La tête de la mante religieuse, c'est le gland. Et puis on va imaginer que les ailes, les pattes de la mante religieuse peuvent former le pilier. Et puis la mante s'assoit sur l'orifice du vagin.
Léa Minod : Les deux ailes de chaque côté sont les piliers ?
Élodie Touzé : Exactement.
Léa Minod : Et qui entoure quoi ?
Élodie Touzé : … qui entoure les bulbes qui, lui-même, chevauche le vagin. On est à douze centimètres si on fait tout le tour, de haut en bas.
Léa Minod : Et cela varie selon les femmes ?
Élodie Touzé : Évidemment, cela varie selon les femmes, comme les hommes ont des pénis de tailles et de formes différentes, les femmes vont avoir des clitoris de formes et de tailles différentes, avec évidemment des structures similaires.
Léa Minod : Et que se passe-t-il quand, justement, cet organe vivant qu'on peut étudier grâce à l'IRM, on vient le stimuler ?
Élodie Touzé : Quand on vient stimuler le clitoris, il se passe à peu près la même chose que chez les hommes, puisque on s'est bien rendu compte, en effet, qu'il était constitué de corps spongieux, corps caverneux qui sont des corps et des tissus érectiles. Le clitoris va rentrer en érection, non pas en s'élevant mais en se gonflant de sang. Les bulbes vont se gonfler, augmenter beaucoup de volumes, les piliers également, et le gland également. Ils sont tous constitués de corps érectiles. Le clitoris va se mettre à basculer. Ce basculement va générer une espèce de réaction en chaîne, de cascade en chaîne, et va générer un basculement aussi des organes qui sont proches, par exemple l'utérus.
Léa Minod : À quoi ça sert ?
Élodie Touzé : Au plaisir féminin.
Léa Minod : C'est tout ?
Élodie Touzé : Voilà ! D'où aussi l'observation qu'on a des contractions de l'utérus pendant l'orgasme et tout cela est généré par cette réaction en chaîne dont la source est le clitoris.
Léa Minod : La deuxième partie du texte, elle, est beaucoup plus historique, sociale. Elle parle notamment de suppression active du clitoris et l'influence des facteurs sociaux sur la science, comme s’il y a vraiment eu une pratique d'effacement un peu de tout ce qui concerne le plaisir sexuel des femmes, et cela, curieusement, non pas depuis le début, mais à partir du XIXe siècle.
Élodie Touzé : Absolument !
Léa Minod : Pouvez-vous nous en dire plus Élodie ?
Élodie Touzé : Je vais vous en dire plus. À partir du XIXe siècle, il y a une série de découvertes médicales et scientifiques qui sont liées à la reproduction. Avant le XIXe siècle, on pense que pour pouvoir avoir un enfant, pour pouvoir être fertile, une femme doit avoir un orgasme. On sait déjà que le clitoris est lié au plaisir. On sait déjà que le clitoris est constitué d'une partie immergée et émergée. Mais on suppose qu'il faut absolument un orgasme pour pouvoir se reproduire. À ce moment-là, il y a des découvertes scientifiques qui sont centrales, qui permettent d'observer que les femmes ont un cycle menstruel, qu'il y a des ovules qui sont produits, ça on le sait depuis longtemps, mais que l'ovulation, elle est générée par un cycle, et que l'orgasme ne génère absolument pas la production des ovules. À partir de ce moment-là, la population médicale et scientifique…
Léa Minod : … des hommes…
Élodie Touzé : Oui, des hommes ! La profession médicale est interdite aux femmes à ce moment-là au XIXe siècle, elles n’ont pas accès à toutes les professions, elles ont le statut d'enfant d'ailleurs. Pour en revenir à ce que je disais, à partir de ce moment-là, puisque le clitoris n'est pas impliqué dans la reproduction…
Léa Minod : … alors il ne sert à rien...
Élodie Touzé : Exactement ! Il est décrété comme inutile, mais vraiment décrété comme « inutile », c'est écrit. Dans l'ensemble des recueils de science et de médecine de l'époque, c'est bien écrit « inutile ». Quand elle parle d'effacement, c'est vraiment un effacement. Si on regarde l'ensemble des planches anatomiques des manuels de médecine, elle parle du Gray's Anatomy. Le Gray's Anatomy ce n’est pas seulement la série qu'on connaît, c'est la référence médicale anatomique de l'ensemble des étudiants en médecine. Ce qu'on observe, c'est qu'au début du XXe, 1918, on regarde une planche anatomique d'une coupe d'appareil génital féminin, on a des étiquetages, elle parle d'étiquetages, c'est-à-dire qu’on a des légendes qui vont faire référence au clitoris. Pas de problème. Puis on voit que dans les années 50, c'est extrêmement étonnant, la même planche, il y a plein d'étiquettes, il y a plein de légendes, mais le clitoris a disparu.
Léa Minod : Ce qui signifie beaucoup !
Élodie Touzé : Le clitoris n'existe plus.
Léa Minod : Et quand est-il réapparu, ce clitoris ? Est-ce avec Helen O'Connell ou un petit peu avant ?
Élodie Touzé : Il y a eu plusieurs choses qui se sont passées, notamment lors de la révolution sexuelle. Ce qui est assez rigolo à observer, c'est qu'on est face à deux extrêmes : on est face à l'effacement complet du clitoris et on est face aussi à des mouvements féministes qui sont extrêmement présents. On a des études de référence qui s'intéressent à la santé sexuelle et qui, vraiment, s’intéressent à la fonction et à l'anatomie du clitoris. On a un mouvement qui, je trouve, est complètement passionnant, qui est un mouvement féministe qui va s'intéresser à la santé des femmes, qui va s'intéresser à un protocole de ressenti, d'observation anatomique, je crois qu'il parle de self help...
Léa Minod : Donc pour qu’elles puissent faire elles-mêmes leurs examens gynécologiques ?
Élodie Touzé : Exactement, il y a une espèce d'étude généraliste, statistique, faite par des profanes qui vont reconstituer, simplement par ces études, la structure du clitoris, en travaillant à la fois sur les fonctions, sur la structure de l'organe et qui vont faire appel d'ailleurs à une artiste pour représenter le schéma du clitoris avec ses bulbes, ses piliers, son gland, en travaillant sur ses fonctions par des examens gynécologiques généralisés et en étudiant aussi ce qui a été produit auparavant. Cela, c'est dans les années 70, Helen O'Connell va d'ailleurs faire référence à ce travail-là, qui est un travail de profanes, mais qui est un travail militant et qui est un travail qui fait référence à un désert de connaissance.
Léa Minod : Vous dites un travail de profanes, cela veut dire qu'elles ne sont pas scientifiques ?
Élodie Touzé : Elles ne sont pas scientifiques, elles ne publient pas. Elles font de la vulgarisation.
Léa Minod : Dans ce qui est écrit aussi au niveau du texte, on en a parlé, mais elle parle aussi d'une sorte de paresse des scientifiques à ne pas vouloir utiliser le meilleur plan pour étudier le clitoris, alors que le pénis, on a tout de suite trouvé quel était le meilleur plan pour l'étudier. C'est vraiment ce qu'on peut dire : une production de savoirs médicaux qui est biaisée en fonction du genre, c'est-à-dire qu'on ne va pas étudier l'homme de la même manière qu'on va étudier la femme ?
Élodie Touzé : Oui, alors là c'est... comment je pourrais expliquer cela. J'aurais presque une explication historique de base, c'est-à-dire qu'on a toujours comparé l'anatomie de la femme par rapport à l'homme. Il y a quelque chose de la culture générale, il y a quelque chose de la comparaison anatomique qui est très puissante, qui date même d'Hippocrate qui compare l'homme et la femme comme deux produits complémentaires, mais complémentaires aussi anatomiquement. Les femmes vont toujours avoir une morphologie qui va compléter l'homme et toujours en infériorité. On va aussi comparer la taille du pénis et du clitoris par exemple, ce que je vous disais tout à l'heure c'est qu'on va pouvoir observer chez les humains, et n'importe quel animal, une certaine diversité. Il y a certaines femmes qui ont un grand clitoris. Au XVIIe siècle, quand on va observer que le clitoris est trop grand par rapport à la normale…
Léa Minod : Quand vous parlez du clitoris, c'est juste du gland en fait ?
Élodie Touzé : Voilà. Quand on observe un gland un peu plus grand que la normale, on va essayer de le « moyenner » pour faire en sorte qu'il n'y ait pas de compétition entre un pénis et un clitoris. On a peur de la sodomie, on a peur que madame puisse opérer une sodomie chez monsieur, et du coup on va couper le gland du clitoris de sorte qu'il se rapproche de « la norme » entre guillemets. On va toujours comparer ça, ça va toujours être la référence. Ça pourrait expliquer le fait que, que ce soit dans le manuel de médecine comme la façon dont on représente le clitoris, on va toujours le faire par rapport à la représentation des mâles.
Léa Minod : Et ce qui est paradoxal, c'est que, avant tout ça, ceux qui en parlait le mieux du clitoris, c'était l’Église n'est-ce pas ?
Élodie Touzé : Ce qui est rigolo c'est que l’Église, les sciences et la médecine vont travailler un petit peu de concert, c'est-à-dire que, à partir du moment où on pense que l'orgasme est lié à la reproduction, l’Église va être militante dans l'idée de se reproduire. Elle va proposer des manuels d'arrivée à l'orgasme pour mesdames, c'est-à-dire que si monsieur a eu son orgasme, il va falloir qu'il travaille pour madame pour qu'elles puissent se reproduire. Donc on va lier l'orgasme à la fertilité et donc donner une espèce de guide, de manuel d'arrivée à l'orgasme pour mesdames. On va proposer aux maris de s'enduire le doigt d'huile parfumée et de faire des « tournicoti tournicota » autour du gland dans le sens des aiguilles d'une montre, pour permettre à madame d'atteindre l'orgasme. Et ça, c'est l’Église qui le fait.
Léa Minod : C'est fou cela ! Au Moyen Âge, c'est pareil. Le plaisir féminin était aussi encouragé ?
Élodie Touzé : Absolument, le plaisir féminin est encouragé quasiment jusqu'au milieu du XVIIIe siècle. Et à partir du milieu du XVIIIe siècle, il y a une très grosse régression du droit des femmes, qui va directement être liée aussi à leur propriété de corps. Il va y avoir aussi des très grosses campagnes contre la masturbation, qui va être considérée comme une épidémie, comme une maladie et comme quelque chose d'extrêmement dangereux.
Léa Minod : … mais chez les hommes comme chez les femmes ?
Élodie Touzé : Oui, chez les hommes comme chez les femmes. Mais ce qui va être intéressant, c'est que la propriété du corps des femmes, elle est vouée à l'homme. Du coup ça va être une espèce de double effet « kiss cool », c'est-à-dire que la masturbation est interdite, le plaisir devient inutile et petit à petit, vraiment petit à petit, entre des facteurs politiques, de droit des femmes, des facteurs sociaux et des facteurs scientifiques, le clitoris disparaît.
Léa Minod : Et qu'est-ce que le clitoris doit à Helen O'Connell ? Est-ce qu'il y a eu une portée de ses publications ?
Élodie Touzé : Absolument, il y a une portée scientifique, une sorte d'ouragan dans l'ensemble de la communauté, parce que, grosso modo, les connaissances sur le clitoris, à ce moment-là, dans les manuels médicaux et scientifiques, sont nulles. Elle apporte de façon non négociable des connaissances qui sont puissantes et extrêmement solides. Elle va aussi travailler de façon politique et sociale, c'est-à-dire que si elle se positionne ici, dans cet article, comme une critique de l'ensemble des connaissances, elle va aussi militer de façon active pour vulgariser l'ensemble de ses connaissances. Elle travaille avec la photographie, elle travaille avec l'IRM, elle travaille avec les représentations, quelque chose de très clair qui permet aussi à l'ensemble de la population de se saisir de cette connaissance. Elle va vraiment avoir un travail de vulgarisation et de diffusion de ses savoirs dans un objectif de santé sexuelle.
Léa Minod : [CONCLUSION] Si le clitoris existe depuis la nuit des temps, on peut qualifier les écrits d'Helen O'Connell de véritables découvertes, ou plutôt redécouverte scientifiques, permettant de relever l'inédit du clitoris. Grâce à elle, les chercheurs, hommes ou femmes, se sont de nouveau emparés de ce sujet d'étude dont la dernière publiée date de 2021. Plus la fréquence de stimulation du clitoris est grande et plus la zone du cerveau qui lui est dédiée s'agrandit, preuve s'il en est de la puissance de cet organe capable de modifier la plasticité de notre cerveau et que l'homme et la société ont trop longtemps cadenassé. D'ailleurs en grec ancien, clitoris signifie « la clé ». Pour d'autres plongées dans les « Sciences lues », c'est le nom de cette série, rendez-vous sur le site du Palais de la découverte et sur les plateformes de podcasts. Merci à Élodie Touzé, médiatrice en sciences de la vie au Palais de la découverte.
On a longtemps cru qu’il n’était que la partie émergée de l’iceberg. Seul organe dédié au plaisir dans le corps humain, il a été réduit comme peau de chagrin à un petit gland à partir du XIXe siècle, jusqu’à même disparaître. Au tournant du XXIe siècle, Helen O’Connell, urologue australienne, publie une série d’articles scientifiques restituant les recherches qu’elle a menées sur le clitoris. Et c’est dans ces découvertes clitoridiennes que nous propose de plonger Élodie Touzé, médiatrice en sciences de la vie du Palais de la découverte.